Un employé japonais. Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Oh, rien de spécial, il a juste des germes de soja qui lui poussent sur les genoux. Alors il demande un arrêt-maladie, il se fait ausculter, le médecin vomit en voyant le genou (il se trouve qu’il a mangé du soja au déjeuner), mais vraiment, rien de grave. Hospitalisé un peu « par-dessus la jambe », abandonné sur un lit-gadget, en pleine rue, le malade sanglé devient un objet trouvé, manié négligemment sur toute la longueur d’un cadre romanesque passablement traditionnel description, récit, dialogues, de moyenne facture ; par endroits pourtant le train-train de l’auteur se transforme en bizarre ovni littéraire, traitant sur un mode mineur l’agonie du vrai mourant qu’était Abe Kôbô (1924-1993) rédigeant son récit et transposant la vanité comique du monde aux yeux de qui n’y appartient déjà presque plus. Le problème, c’est que l’intérêt du lecteur chancèle autant que l’attention du malade à moitié délirant. De belles scènes et de belles trouvailles cohabitent avec des moments de calme plat ou de confusion narrative, puis la curieuse scène du lit qui arrive en enfer et celle où une réunion de patients en euthanasie un autre, réveillent de la somnolence où l’on avait sombré. Les irruptions surréalistes sont les bienvenues pour égayer un peu la sécheresse minimaliste de l’écriture d’un romancier plus connu pour La Femme des sables (1962). Au total, pas vraiment un chef-d’œuvre, mais quand même une entreprise honnête et étant donné le lourd thème de fond si légèrement traité un témoignage plutôt original sur l’imaginaire alité.
Cahier Kangourou de Abe Kôbô
Traduit du japonais par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura, Gallimard/« L’imaginaire », 192 pages, 6,50 €
Poches Salades d’hommes-soja
novembre 2003 | Le Matricule des Anges n°48
| par
Ludovic Bablon
Un livre
Salades d’hommes-soja
Par
Ludovic Bablon
Le Matricule des Anges n°48
, novembre 2003.