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Poésie Mois par moi

janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49 | par Xavier Person

Avec Lent, Éric Suchère invente une écriture agrammaticale et abstraite, atonale et sensible. Un journal intime poétique à lire lentement.

Lent

... un autre mois... 1997-2002
Editions Bleu du ciel

Il y aurait une lenteur à trouver. Elle servirait, cette lenteur, à toucher la surface des choses, retraverser les instants les plus ordinaires, entr’apercevoir d’autres issues à la succession des jours, redistribuer le vif du temps, capter des événements anodins, y découper des zones infra minces, des intensités éphémères. Il y aurait à suspendre le cours d’une phrase, en retourner le cheminement, en déformer la logique, en fragmenter le sens dans le hachage d’une ponctuation sans pareil, en désaccorder la syntaxe et avec elle toute linéarité, toute harmonie. Cela ferait sous nos yeux comme une surface inconnue, comme on chercherait à voir un peu de réel, à le vivre, comme on vit certains instants, sur le vif, s’y perdant, livré à cette dissémination en quoi consiste sans doute toute expérience.
Lire Lent d’Éric Suchère est un peu comme s’avancer vers nulle part, dans une sorte de vacance du regard, une éclipse (L’Éclipse d’Antonioni est cité dans ce livre) : plan fixe désert, tentative de description d’un lieu dont on aurait disparu.
De page en page, dans une sorte de prose scintillante contrariée, en petites touches éclatées, le quotidien se recompose, compressé, découpé. La grammaire malmenée bouleverse l’ordinaire des sensations. Le verbe est souvent mis en avant, manière de prendre appui sur l’action, le mouvement, l’intransitif du mouvement, son énergie peut-être plus musicale ou picturale. Des arrêts dans la phrase se font sur image. Les distances ne sont plus les mêmes entre les mots, des transformations se font sur le mode mineur, mais radicales. Le pronom « je » suivi d’une virgule pose ainsi différemment la question de l’être et de ses métamorphoses : « Je, nomade, débute comme brute et je suis, suis : observation de la transformation de toutes les sensations physiques en émotions totales, vite saisies, impossible que jaillit. » Les corps chutent dans les éclairs.
On caresse la surface des jours comme on lit le poème, précipité dans ses accidents, avec lenteur. La finesse des distorsions, la ductilité de la rythmique autorisent la sensation même de cette lenteur, pour elle-même pourrait-on dire, en ce qu’elle ouvre à notre appréhension. La voix se pose différemment dans le désaccord, ses défaillances assourdies, en sa musicalité propre, douceur hésitante, accélérations émotives : « La voix où l’abstrait narratif insémine le rythmique discret dans la prose émet la vibration le vibratile, selon Dieutre, quand la fibre n’imite pas la surface déjà code mais encore en neuf en voix hachée, hésite, aspirante de l’effort à émettre. »
Une sorte d’autofiction s’écrit là, sur un mode atonal. Né le 25 octobre 1967, Éric Suchère envoie depuis le mois d’octobre 1997, chaque mois, une carte postale à un nombre fixe de correspondants : « ce projet commencé le jour de mes trente ans devrait s’achever en 2028 après mes soixante ans ; il sera, alors, constitué de 365 textes pour : une correspondance, une éphéméride, un autoportrait en continu, un journal, un résumé, un condensé, un précipité, une commémoration. » Regroupant les textes des cinq premières années, Lent montre, de page en page, le travail du temps dans son abstraction. Le volontarisme de la démarche s’y ressent de moins en moins, à mesure qu’on avance, comme si « l’effort au style » du départ gagnait en souplesse, comme si les mois passant ce travail sur le motif des jours valait pour sa vie même : affirmant peu à peu l’irrésolution de l’écriture comme une valeur possible, trouvant son compte dans l’éparpillement ?
Des déplacements s’opèrent, la phrase compose avec la perte, sans drame : « Le visage avec, la lumière sur zénithale : tombe. Et la baisse de, provoque une pénombre de. » La suspension du substantif permet de composer avec la disparition. Ce que l’auteur nomme « le motif albertine », au sens peut-être d’une désillusion sentimentale, d’une lucidité, semble contaminer l’écriture. La fusion lyrique rendue problématique, et dès lors tout récit empêché, les mots ne vont plus simplement les uns avec les autres. L’autoportrait est nécessairement lacunaire, les envolées du style achoppent. Mais les passages à vide ouvrent une belle vue sur rien. L’air de rien, une logique de l’émerveillement prend le pas sur la tristesse de la surface pour la surface : « retiens le nouveau comme jamais vu seul de nous. »
On apprend peu à peu à lire ce livre, renonçant à toute vision totalisante, privilégiant les écarts de sens et d’images. « Je coupe le contact avant que ne se lâche ou l’extirpe soudain me remet au réel » : on prend un tel goût à la lenteur qu’on mesure à quel point l’immobilité peut être un vertige très doux. On imagine une lecture arrêtée. On lit même quelque part le mot « bonheur ». On se dit qu’une phrase impossible permet tout.

Lent
Éric Suchère
Le Bleu du ciel
94 pages, 13

Mois par moi Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°49 , janvier 2004.