Le roman qui signe le retour d’Eugenio Tramonti, déjà croisé dans Le Vol du pigeon voyageur, porte bien son titre : La Jubilation des hasards, emprunté à Claudel, évoque les rêves prémonitoires.
Ceux qui n’ont pas lu Le Vol du pigeon voyageur (il importe peu de l’avoir lu pour s’attaquer à celui-ci) apprendront vite à connaître Eugenio : ce journaliste (pour un magazine marseillais) fut un écrivain qui n’écrit plus depuis que la vanité d’ajouter son nom à la longue liste des écrivains l’a étreint. Il a un peu de mal à se sentir présent dans le monde qui l’entoure, où la sagesse espiègle de Mariana, sa compagne, le maintient à flot. L’histoire qu’il nous raconte (c’est bien lui, cette fois, qui prend la parole : on assiste à la renaissance d’un écrivain) est close quand s’ouvre le roman. Nous voilà en retard d’un train (d’un avion plutôt) et cette impression que le temps a subi une déflagration ne va plus nous quitter durant tout le roman. Quelque chose a eu lieu que l’écriture va mettre au clair : « (…) À présent, il va me falloir démêler tout ça. » Calez-vous dans votre siège, le voyage commence. Eugenio nous raconte donc une histoire et aussi que celle-ci, il l’a racontée d’abord à Choisy-Legrand, son patron, puis à Mariana. Nous voici donc placés en bout de chaîne à la suite de deux personnages de fiction ; c’est comme si nous étions passés de l’autre côté du miroir. Tout commence par deux rêves dont celui d’un terrier dans lequel Eugenio se voit vivre en même temps qu’il devine que ce trou est un livre. Plus tard, arrive une étrange dame, Shoshana Stevens spécialiste des morts qui, à un Eugenio incrédule, raconte qu’elle a rencontré son père, décédé il y a quarante ans. Ce qu’elle lui narre, qu’Eugenio raconte à un Choisy-Legrand plus incrédule, puis à une Mariana plus curieuse, on ne va pas le raconter ici. Ce serait gâcher le plaisir. Disons que parfois, selon Shoshana, les morts deviennent des « consciences sans corps » qui trouvent à s’incarner et souffrent d’être morts parmi les vivants. Eugenio est concerné et un Hongkongais qui vient de naître à New York aussi. Ce serait bien que notre héros se rende là-bas, lui qui ne veut pas voyager. Lui auquel son patron vient de confier la mission d’aller à New York pour écrire un papier sur l’après 11 septembre…
Après une première partie toute en procédés dilatoires pour repousser le moment de la révélation, et en propos rapportés qui s’emboîtent jusqu’à l’ivresse (« Je crois que j’ai fait un rêve cette nuit, me dit Sheridan Schann, dit Shoshana Stevens, ai-je raconté ensuite à Choisy-Legrand puis à Mariana »), nous suivons Eugenio à New York. Le roman mêle l’enquête, le cheminement labyrinthique dans Big Apple, les histoires qui se répondent les unes aux autres, la solitude d’Eugenio qui embrasse tous les jours Mariana par cartes postales interposées. C’est plaisant, limpide. Mais, peu à peu l’histoire se fait plus profonde qu’il n’y paraissait. Les personnages qu’Eugenio va...
Dossier
Christian Garcin
Le vol suspendu du temps
février 2005 | Le Matricule des Anges n°60
| par
Thierry Guichard
Un subtil recueil de nouvelles pour éclairer les moments où une vie peut basculer et un roman jubilatoire et souterrain : Christian Garcin ajoute deux nouvelles pièces à son cheminement métaphysique.
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