L’édition pour la jeunesse fait un grand pas en avant ! Aura-t-il fallu attendre le centenaire la naissance de Louise Michel pour dépoussiérer les mémoires et oser enfin s’accaparer l’histoire de la Commune de Paris… Ceci étant, le prétexte, s’il en est, en valait bien la peine car Marie Desplechin réussit un pied-de-nez : elle s’affranchit d’une morale bien-pensante, sans lourdeur, en réhabilitant cette révolution libertaire dans l’histoire de la République, pas toujours glorieuse.
Sous couvert d’un récit à la première personne (Séraphine raconte sa vie), l’auteur réussit à relater deux histoires parallèles : la petite et la grande. En situant son roman treize ans à peine après la Commune de Paris, Marie Desplechin montre combien cet événement historique a profondément marqué la mémoire des Parisiens. D’une part, par l’extrême violence des représailles du gouvernement de Versailles qui a terrorisé la population parisienne et d’autre part, par la Commune qui a permis d’entrevoir l’espoir d’une société plus équitable.
Au-delà du récit de la vie quasi miraculeuse de la pauvre jeune adolescente de la Butte Montmartre (merci Sainte Rita des causes désespérées !), ce roman offre à lire au jeune lecteur le récit d’une révolution parisienne populaire et libertaire génitrice des revendications sociales qui ont été le ferment de la société moderne du XXe siècle. Du pédagogique certes mais finement intégré au récit en appelant aux souvenirs des anciens révoltés. Et du politique aussi. L’auteur prend le parti de n’éluder aucun fait : ni l’engagement des bourgeois dits « socialistes » aux côtés des Communards, ni la déportation de ces derniers au bagne de Nouvelle-Calédonie et leur soutien au soulèvement canaque, ni l’individualisme des miséreux. Quant à l’Église, omniprésente par la multiplicité de ses œuvres de charité, elle joue un rôle ambigu contribuant à enterrer la mémoire révolutionnaire (telle un démon) en construisant sous les yeux des anciens révolutionnaires libertaires une « verrue » qui surplombera la capitale : le Sacré-Cœur.
Dans ce roman où la grande histoire fait partie intégrante de celle de Séraphine, l’auteur fait fi du politiquement correct. La bonne morale, c’est pour les « curetons » nous dit le texte. Si Séraphine s’en sort, ce sera surtout grâce aux « relations » de sa tante Charlotte, prostituée notoire au grand cœur et maîtresse d’un artiste-peintre en vogue, ou encore à Louise Michel, camarade anarchiste du père de Séraphine mais aussi grâce à sa volonté et ses superstitions. En effet, Sainte Rita qu’elle ne cesse d’appeler à sa rescousse, agit dans ce récit comme une fée qui exauce un à un tous les vœux de sa protégée. Toutes ces figures féminines du roman sont synonymes de changement. Quelles soient figures emblématiques de la Commune, prostituée, tenancière de cabaret ou jeune adolescente, c’est par elles que les choses avancent. Un clin d’œil féministe qui se situe dans la continuité du précédent recueil de l’auteur mettant en scène une jeune adolescente en mal d’émancipation dans le Paris bourgeois du XIXe siècle (Satin Grenadine, L’École des loisirs).
Qu’on le considère comme roman historique ou roman d’apprentissage ou encore conte moderne, peu importe en vérité. Séraphine peut être appréhendé de quelque manière que ce soit par le lecteur, selon sa sensibilité. L’intérêt de ce texte réside avant tout dans ce qu’il porte et transmet : une richesse d’enseignement, même s’il pêche parfois par excès de générosité mais jamais par simplisme.
Séraphine
Marie Desplechin
L’École des loisirs,
« Médium »
195 pages, 9 €
Jeunesse Le temps des cerises
avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62
| par
Malika Person
Marie Desplechin ouvre une porte sur une période importante de l’Histoire de France curieusement absente de la littérature jeunesse.
Un livre
Le temps des cerises
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°62
, avril 2005.