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Domaine étranger L’éjaculateur cannibale

avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62 | par Camille Decisier

Un délirant continuum politique en forme de festin nu : l’œuvre inaugurale, sensuelle et fulgurante de l’Argentin Osvaldo Lamborghini (1940-1985) est maintenant accessible.

Le Fjord (suivi de) Sebregondi recule

Nous nous assîmes autour de la table sans broncher. Elle nous servit un morceau de pine frite, que chacun dévora à sa manière, en murmurant à peine « chacun pour soi ». Je me rappelle m’être mouché dans mes doigts et avoir accroché les glaires dans mes cils, comme des larmes. J’étais parfaitement conscient. »
Il était temps d’œuvrer pour que le nom de Lamborghini cesse de concentrer son capital de notoriété sur les voitures de sport ; à mille lieues des écuries et des crissements de pneus, vous voici dans un étrange fjord argentin, oui, un fjord, il existe décidément des fjords en Argentine, comme le monde est bizarre. « Comme une flamme liquide et bleue, le fjord dort entre les monts à pic », écrivait Suarès. Flamme liquide et bleue, la prose sensible de Lamborghini coule au pied des rochers effilés qui déchirent l’horizon sud-américain en cette fin des années soixante : une poésie inouïe pour une violence inaudible, une douceur de langue et de regard pour décrire la cruauté réaliste, la bestialité des hommes entre eux, ce que nous nommons bêtement la politique, l’amitié. Le Fjord est un récit court, d’une intensité presque douloureuse, concentré sur la gestuelle des corps qui se chevauchent, se flagellent, s’étreignent, accouchent, ingurgitent et vomissent, pour mimer le chaos humain. Une gésine l’inaugure, qui donne la vie en même temps qu’elle la reprend ; la suite mélange l’enfantement, l’inceste, le viol scatologique, le festin cannibale, le tout ponctué de slogans révolutionnaires hurlés comme on souhaiterait bon appétit. « Les inscriptions lumineuses jetaient une lumière sporadique sur nos visages. « Nous Ne Serons Jamais de la Chair Bolchevique Dieu Patrie Foyer. » « Deux, Trois, Vietnam. » « Solidarité Active Avec Les Guérillas. » « Pour un Grandfront Propaix. » Alcira Fafo fumait son éternelle cigarette de fin de repas avec délectation. Elle intercalait ses bouffées de fumée dans le creux des lettres, qui étaient de mille couleurs. Elle m’empoigna le cher Sebas par une oreille et l’écrasa sous le poids du drapeau. »
Comme dans toute œuvre tranchée s’y font jour quelques ambiguïtés tranchantes ; ainsi ce doute, mis dans le texte entre parenthèses, concernant la réalité des camps de concentration allemands, paradoxal au su du nombre d’officiers nazis réfugiés en Argentine après la chute de Berlin. Mais Le Fjord reste avant tout un éclair de lumière jeté au hasard sur un groupe d’êtres humains vivants, une photographie en somme, aux contrastes céliniens, du désordre et de ses lois. La fascination pour le corps, ses sécrétions, la pourriture, rappelle celle d’Artaud, même si Lamborghini s’attache moins à l’ombilic des limbes qu’à celui des hommes, entre autres trous. « Toutes les vitres de la maison explosèrent, volèrent en éclats. La première boule de feu embrasa la chevelure d’Alcira. Pour le coup, sans rire, il fut nécessaire de répéter le tour joué à Sebastian qui, à demi étouffé, hoquetait sur les gros titres révolutionnaires. La seconde boule de feu calcina la main gauche de Carla Greta Teron. C’est alors qu’apparut ma femme. Notre fille dans les bras, enveloppée de cet air si personnel de jeunesse trompeuse, elle émergeait, éblouissante et presque pure, se détachant du fjord. »
Sebregondi recule, paru quelques années plus tard, en 1973, est un assemblage plus structuré de quatre parties, simili carnet de l’auteur où se retrouvent ses hantises de prédilection : un substrat politique toujours tourmenté, l’obsession de la jouissance, le sexe comme base des relations de pouvoir, le paradoxe posé par l’usage de la violence : « Le problème n’est pas de perturber, et n’était pas non plus, de perturber pour perturber. Le problème c’est de perturber pour la paix. Dégagement du sang : une grande ode à la paix, un chant gazouillant pour la paix, la transmettre ainsi, un lambeau multicolore flambé (dégouttant) pour la paix. » Certains passages, décousus, relatent les aventures homosexuelles d’un certain marquis de Sebregondi, personnage dans l’ombre duquel rôde la figure inspirante de Gombrowicz. La langue en est nébuleuse, surréaliste (« Dans une ruelle spleen et disparition »), parfois strictement descriptive ou d’une clairvoyance à couper le souffle, comme dans cette courte phrase qui revient plusieurs fois et dont il serait bon de se souvenir : « Il y a tant de douleur, aïe, dans l’évidence du mot évident ».
C’est assurément du Fjord, publié en 1969 dans une semi clandestinité, que l’on se souviendra, première et magistrale œuvre d’un auteur prisé en Argentine et dont peu d’éléments biographiques nous sont parvenus qu’il n’ait égrenés dans l’écriture. Osvaldo Lamborghini est mort en 1985 à Barcelone, malade, ivre de drogue et de boisson. Au beau milieu de la fascinante boucherie humaine du Fjord, alors que les corps se démembrent dans des geysers de sang, il écrit doucement que « c’était pure douleur, toute la douleur, mais pas toute ».

Le Fjord suivi de
Sebregondi recule
Osvaldo Lamborghini
Traduits de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon
Désordres/Laurence Viallet, 114 pages, 14,90

L’éjaculateur cannibale Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°62 , avril 2005.
LMDA PDF n°62
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