Ithaca. Californie. Une bourgade au milieu de nulle part, loin de l’agitation du monde et des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. C’est là que vit la famille Macauley, pivot de ce récit qui se décline en courts épisodes. Ithaca, c’est aussi la patrie qu’Ulysse chercha pendant vingt années à travers la Méditerranée, un foyer rassurant, pôle autour duquel tournent le monde et ses dangers. William Saroyan a repris cette symbolique à son compte. Il a prénommé les deux fils Macauley Homère et Ulysse. Il se lance dans une chronique sociale et familiale pleine de lyrisme, aux accents presque bibliques. Il mélange ainsi les références littéraires, se nourrit de deux mythes fondateurs, dans un seul but : faire partager un idéal de paix entre les hommes.
Homère, adolescent, vient de trouver un emploi de messager chez un télégraphiste. Il parcourt les rues le soir, après l’école, porte les précieuses enveloppes, bonnes nouvelles, meilleurs vœux ou paroles contrites des états-majors. À peine sorti de l’enfance, il prend conscience de la réalité : « Le monde doit être recréé par chacun des hommes qui l’habite, et refait comme un lit ». Une responsabilité qu’il n’est pas encore prêt à assumer : « Je me sens seul et je ne sais pas pourquoi ». C’est là qu’interviennent ses concitoyens. Grâce à son petit boulot, Homère effectue un voyage initiatique sans jamais dépasser les frontières de la commune, se nourrissant de rencontres. Messieurs Spangler et Grogan, du télégraphe, lui parlent de leur jeunesse, du mal qui règne sur la terre et de la bonne conduite à tenir si l’on veut être un homme. Corbett, un ancien champion de boxe devenu patron de bar, joue les durs au cœur tendre. Ara, l’épicier venu d’Europe, porte une charge violente contre la société de consommation tout en proposant sur ses étals la dernière déclinaison de flocons d’avoine aux vertus inutiles. Chemin faisant, en revenant toujours à la douce chaleur du foyer, Homère avance dans la vie, suivant ainsi les bons conseils de sa mère, toujours à l’écoute. À Ithaca, tout le monde semble bon, soucieux de son prochain. Dans ce petit paradis à peine égratigné par la folie du monde, il est possible de croiser une jeune fille au coin de la rue, de déposer un baiser sur sa joue et de lui dire « Vous êtes la plus jolie femme du monde ».De manière répétée voire cyclique, William Saroyan martèle ses principes philosophiques humanistes. Une constance qui a séduit ses premiers lecteurs dans l’Amérique de la Grande Dépression. Le Jeune Homme au trapèze volant, paru dans un magazine en 1934, a lancé sa carrière. Sentimental, Saroyan enrichit sa Comédie humaine avec des traits d’humour, un peu d’ironie, mais surtout une véritable étude des mentalités, loin des stéréotypes de l’Américain cow-boy et arrogant. Les quelques soldats de passage affichent un patriotisme de cœur, qui prend sa source dans le quotidien et pas dans l’héritage : « Vraiment (…), je crois que le drapeau nous fait penser à tous ceux qui nous touchent et qui nous sont chers ».
Tout ce qui séduit dans ce livre a provoqué l’éloignement inéluctable d’un auteur et de ses contemporains. À partir des années 1950, Saroyan n’est plus en phase avec le monde qui change. Son message altruiste passe moins dans l’ère du boom économique. La Comédie humaine, édité en 1943, marque ainsi un moment charnière dans la vie de l’auteur, qui n’a jamais quitté sa ligne, au théâtre ou dans les essais qu’il a pu écrire par la suite. Il demeure ainsi à la place qu’il s’était fixé : « hors du noble et ridicule univers et de sa perpétuelle hypocrisie ».
La Comédie humaine
William Saroyan
Traduit de l’américain par Yvonne Brun, Le Livre de poche, 348 pages, 6,95 €
Poches Bienvenue à Ithaca
avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62
| par
Franck Mannoni
Avec lyrisme et optimisme, William Saroyan dresse le portrait d’une petite ville américaine et de ses habitants sur fond de Seconde Guerre mondiale.
Un livre
Bienvenue à Ithaca
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°62
, avril 2005.