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Poésie Ange et démon

juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65 | par Richard Blin

Sa rage d’absolu, son sens du don et sa destinée tragique en font le poète le plus populaire de Russie. Sergueï Essénine (1895-1925) a brûlé sa vie. Deux nouvelles traductions nous le prouvent.

Avec ses yeux bleus et ses cheveux dorés bouclés, il ressemblait à un héros de conte russe. Quand il débarque à Petrograd (Saint-Pétersbourg), Sergueï Essénine est bien décidé à se faire connaître et reconnaître. Né vingt ans plus tôt à Konstantinovo, un pays d’eau, de steppe et de bois, et tôt initié aux rudes réalités de la vie rurale (« J’avais à peine trois ans qu’ils me juchaient à cru sur un cheval, le lançant au galop… »), il a été élevé dans les traditions de la vieille Russie paysanne, nourries de folklore, de religiosité et de mythologie slave. Nous sommes en 1915. Il reste dix ans à vivre à cette âme fervente, à ce tempérament fougueux et frondeur, servi par un charme certain, et par un art de dire ses vers qui subjugue toutes les assistances. Loin du maniérisme symboliste et des éclats futuristes, sa poésie célèbre les forces primitives et rituelles de la Russie, à travers le quotidien d’un poète paysan qui sait capter d’instinct les signaux de la nature et les plier à sa sensibilité. Essénine ne cherche pas à décrire, mais à faire surgir la réalité telle qu’il l’éprouve, au plus vif de son être.
Une voix qui fait de l’espace russe, l’espace du poème. Russie des isbas, des merisiers et des bouleaux, des icônes et des traîneaux à clochettes glissant sur la plaine enneigée. Quand éclate la Révolution d’octobre 1917, il y voit le présage d’une sorte de déluge purificateur dont émergera une Russie régénérée. Ses vers se mettent alors à brasser avec une rare véhémence, idées révolutionnaires, visions bibliques et cosmogoniques. Dans Inonia (1918), un très long poème mystico-révolutionnaire, il multiplie les images et se fait le prophète d’une cité idéale. « La mort ne me fait pas peur,/ ni les lances ni les pluies de flèches. (…) Aujourd’hui, poule, je vais pondre/ l’œuf d’une parole d’or… » Le monde est renversé, le Christ est déculotté, « De mon genou je comprimerai l’équateur/ et dans un maelström de pleurs/ briserai en deux le petit pain doré/ qu’est notre mère la terre./ Dans la faille ouverte sur l’abîme ténébreux/ pour que tout l’univers en perçoive le craquement,/ je fourrai ma tête blonde auréolée d’étoiles/ en guise de rayons lumineux… » De l’image, devenue le fondement essentiel de sa poésie, il dira tout dans un essai, Les Clés de Marie, et participera à la fondation du mouvement de l’imaginisme, mouvement dont il s’éloignera assez vite, refusant l’image pour l’image, au profit de « l’image organique », enracinée dans le sol russe.
Fréquentant la bohème littéraire et artistique, supérieurement indocile, fasciné par les bas-fonds, catastrophé surtout par le sillage de misère que laisse derrière elle la Révolution, il s’abandonne à sa souffrance, à sa sensualité et à sa nature anarchique. Adepte d’une contre-morale absolue, il ne cessera de s’éprendre et de se déprendre, se mariera quatre fois et connaîtra des passions homosexuelles. C’est l’époque du « poète houligan ». « Tout le vivant dès les premiers temps/ porte un signe qui le distingue./ Pour moi n’eussé-je été poète/ j’eusse à coup sûr été voleur et truand. » C’est l’époque de la Moscou des bouges et des troquets, où l’on boit toute la nuit au son de l’accordéon, en invoquant la Russie ou en récitant des vers aux putains. On rit, on pleure, on s’échauffe. « Vibre accordéon ! Quel cafard…/ Que les doigts sur les touches galopent./ Allez, viens trinquer, viens t’asseoir,/ Bois, salope.// On t’a soûlée, souillée d’amour ». Moscou la soûle qu’Essénine veut quitter. Mais ce sera la rencontre d’Isadora Duncan, la célèbre danseuse aux pieds nus, invitée par le gouvernement soviétique à fonder une école de danse en Russie. Tout les sépare : elle est américaine, a presque vingt ans de plus que lui, ne parle pas russe et il n’est pas question pour lui d’apprendre l’anglais… qui pourrait altérer, dit-il, la pureté de sa propre langue. Mais c’est le coup de foudre, et bientôt le mariage ; puis un très long voyage, émaillé de scandales, en Europe et aux États-Unis. Quand il rentre, fin 1923, privé de repères et constatant l’effondrement de tout ce à quoi il croyait, il sombre de plus belle dans l’alcool, la provocation et le sarcasme. « J’ai une renommée, la pire,/ D’homme à scandale et de vrai porc. (…) La vie brûle tous ses convives./ Et j’ai fait le porc et le fou/ Pour que ma flamme soit plus vive.// Le poète griffe et caresse,/ c’est son destin et son devoir./ J’ai cherché à marier sans cesse/ La rose blanche au crapaud noir ».
Pressentant la mort, et tandis que la Russie le célèbre comme son plus grand poète vivant, il poursuit sa vie d’errance et d’idylles, épousant la petite-fille de Tolstoï, et écrivant son désenchantement. Crises nerveuses, hallucinations, cure de désintoxication se succèdent jusqu’à ce qu’on le retrouve pendu, dans une chambre d’hôtel, le 28 décembre 1925. Suicide ? Assassinat ? Un an après de grandioses funérailles, le Parti décidera de mettre fin à « la folie Essénine », dénonçant son cocktail « d’icônes, de mômes à nichons, de cierges ardents, de boulaies, de lunes, de chiennes, de Seigneur Dieu et de nécrophilie, tout ceci noyé dans les larmes et les hoquets tragiques d’un ivrogne, tant hooligan que dévot ». Mais il est encore aujourd’hui le poète le plus lu en Russie. Une œuvre où écriture et vie ne cessent de se nourrir et dont son Journal, c’est-à-dire sa poésie, offre un reflet saisissant. Sergueï Essénine, l’homme noir, l’homme des partances et du don.

Richard Blin

Sergueï Essénine
L’Homme noir
Traduit du russe par Henri Abril
Circé, 325 pages, 21
Journal d’un poète
Traduit du russe par Christiane Pighetti
La Différence, 285 pages, 20
(éditions bilingues)

Ange et démon Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°65 , juillet 2005.
LMDA PDF n°65
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