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Domaine français Un monde flottant

janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69 | par Richard Blin

Du Laos au Cambodge, Pierre Lartigue livre un récit de voyage où se révèlent l’architecture mouvante de la danse, l’ondoiement de la soie et des souvenirs.

Le Ciel dans l’eau

Il y a cinquante ans qu’avec ses Tristes tropiques, Claude Lévi Strauss a annoncé la fin des voyages, cinquante ans qu’on sait que la civilisation a tout envahi, que l’exotisme rime désormais avec épices et pacotille. Et pourtant, il est encore des voyageurs qui se sentent reliés, à travers le temps et l’espace à « l’arc-en-ciel des cultures humaines ». Pierre Lartigue, poète, romancier et essayiste, est de ceux-là. Il a besoin d’éprouver physiquement et poétiquement la réalité humaine de cette évidence. Il a besoin de donner corps et consistance à cet étrange sentiment qui veut que le temps aime jouer avec son ombre. C’est en quête de ces reflets, de ces rimes intérieures et de ces échos qu’il aime partir. Après L’Inde au pied nu, publié dans la même collection (2001), c’est le récit d’un voyage en Thaïlande, au Cambodge et au Laos qu’il nous propose avec Le Ciel dans l’eau, Angkor.
Désir d’Asie qui date d’un spectacle donné par la troupe royale du Cambodge, trente-cinq ans plus tôt. « Aux Tuileries, les danseuses glissaient sur une scène dressée au-dessus de l’eau. À l’instant où elles s’enflammaient dans l’air de la nuit comme des papillons sous le faisceau des projecteurs, leur image inversée scintillait au fond du miroir d’eau noire. La danse se dédoublait comme sur l’étang la fleur du nénuphar. Les silhouettes dorées brûlaient droites, pareilles à de petites bougies, tandis que leur reflet pointait le cœur de la terre. Elles apportaient la beauté du monde ». Un éblouissement semblable à celui que peut donner le premier poème offert et chiffré. Un émerveillement venu de ces territoires qu’on appelait autrefois le Siam. C’est donc une sorte de pèlerinage aux sources de cette danse qu’entreprend Pierre Lartigue. De l’image au mirage et du miroir à son envers, c’est d’une véritable expérience du regard que témoigne Le Ciel dans l’eau. Un récit qui a la fluidité et la continuité d’une eau sur laquelle viendraient se refléter les scintillations de l’être, les modulations d’un climat mental et la nudité des images. La pluie sur les frangipaniers en fleurs ; un buste de bouddha en bois de citronnier à veinules blanches ; un serpent qui glisse parmi les pierres et qui soudain « fouette l’air de sa queue et emporte un cri dans les buissons » ; des enfants plongeant dans le Tonlé Sap dont les eaux se jettent dans le Mékong, et y récupérant « des bouteilles dans la boue ainsi que de grosses boules d’or venues s’échouer dieu sait comment dans cette puanteur » ; des singes s’attaquant à une jeune fille revenant du marché. « Les singes fondent sur elle de trois côtés à la fois. Tandis qu’elle tente de se défendre et d’élever le sac, à bout de bras, hors de leur portée, l’un d’eux prend appui sur sa hanche et saute. Il griffe l’air et déchire la poche en plastique dont le contenu roule sur le trottoir. En quelques bonds ils ramassent pommes et oranges et regagnent les toits » ; une statue de Visnu jouant le rôle d’horloge hydraulique « le jet jailli de son nombril annonçait le moment venu d’ouvrir les vannes et d’inonder les rizières ».
Et puis il y a les danseuses et leur souplesse de couleuvre glissant vers le surnaturel. La danseuse « coud le vent, le soleil et le ciel ». Il y a la matière océanique des étoffes, la finesse mobile de la soie, le mystère du mouvement s’exaltant dans le drapé, les plis et le jeu des couleurs. Toutes les sèves dans les soies, nous dit Pierre Lartigue : du rouge que donne le bois de sappan ou la noix de bétel au jaune des feuilles de cucuma ou au bleu de l’indigo. La danse, ou du moins ce qu’il en reste quand elle n’a pas été tuée par le développement du tourisme industriel, comme au Laos, ou quand elle n’a pas été victime des massacres insensés perpétrés sous le règne de Pol Pot, et dans lesquels ont péri la plupart des maîtresses de danse du ballet royal cambodgien (au Cambodge les figures n’étaient pas, comme en Inde, fixées par des traités). Mais grâce à l’abnégation des quelques survivantes, à Phnom Penh, aujourd’hui, de petites Khmères se réunissent, chaque matin, pour apprendre et perpétuer l’art de la danse, de cette forme d’ondée voluptueuse, de cette mise en faisceau de l’allégresse et du don, de la grâce et de la magie. « La danseuse khmère effleure le sol avec infiniment de précaution. Elle semble à peine y prendre appui (…). Vouée à l’envol, l’apsara se meut dans un monde liquide, parmi des scintillements. Elle tangue et tourne comme une barque, le buste tendu comme figure de proue (…). Liane ou liseron d’eau, la tige volubile de la danse monte ».
Lire Le Ciel dans l’eau, c’est voyager sur le pont flottant des rêves, c’est se perdre dans la féerie des temples, les équilibres suspendus d’un théâtre de pierre. De cette énergie fluide, de cette évidence souvent sans reste, la phrase de Pierre Lartigue a la courbe sensuelle et l’allure dansante. Une écriture qui sait trouver la juste distance et faire deviner l’aura de ce qu’elle évoque. Une écriture enfin au sein de laquelle jouent des correspondances secrètes, des rapprochements subtils, et où l’ici et le là-bas se côtoient, à l’image de l’embouchure de la Charente et du Tonlé Sap se découvrant d’étonnantes parentés. Parce que rien n’est plus originaire que ce qui nous revient de très loin et souvent du plus éloigné, comme le dit, à sa façon, Pierre Lartigue dans sa toute dernière phrase. « Ainsi la lumière monte de l’enfance et en nous demeure si vive que nous la retrouvons et allons droit vers elle à l’autre bout du monde ».

Le Ciel dans l’eau,
Angkor

Pierre Lartigue
La Bibliothèque, « L’Écrivain voyageur »
175 pages, 14

Un monde flottant Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°69 , janvier 2006.
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