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Zoom D’un tableau l’autre

février 2006 | Le Matricule des Anges n°70 | par Thierry Guichard

Le quatrième roman de François Bégaudeau, 35 ans, est aussi réjouissant qu’effrayant. Sa peinture sur le motif d’un collège n’engage pas à l’optimisme, mais soulage malgré tout les zygomatiques. Et le romancier enchante à nouveau.

Entre les murs

Il n’aura pas fallu plus de trois ans à François Bégaudeau pour imposer son nom en librairie. Son quatrième roman, prouve si besoin était que le jeune homme possède un regard très affûté. Directement inspiré de son expérience de professeur de français dans un collège du XIXe arrondissement, Entre les murs nous fait vivre une année en classes. On pouvait craindre, aux premières pages, une charge pamphlétaire contre les enseignants. On y voit en effet le narrateur compter dès avant la rentrée scolaire le nombre de jours qu’il lui faudra effectuer. Et au jour J, s’arrêter à « la brasserie pour ne pas être en avance. » On se dit alors que ce roman-là va apporter de l’eau aux moulins à parole de ceux qui jettent l’opprobre sur les profs. C’est peut-être mieux que les scies larmoyantes des hymnes au sacerdoce de l’enseignement, mais quand même, entre apologie et glorification, ou, pour reprendre des termes à la mode au lycée, entre éloge et blâme, il devrait y avoir de la place pour plus de justesse. C’est cette place-là que François Bégaudeau investit. Ni témoignage, ni documentaire, le roman nous donne à vivre la tragi-comédie de l’éducation.
Le roman fonctionne par une succession de tableaux brefs, saisis lors d’un cours, dans la classe, dans les couloirs du collège ou dans la salle des profs. Il y a quelque chose de la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien dans le projet de l’auteur qui, durant deux ans, a noté chaque jour un fait survenu au collège : « J’ai commencé à prendre des notes en septembre 2003. Ensuite, le travail de réorganisation a été un travail de romancier : je mettais la focale sur un personnage, j’organisais la mise en scène, par exemple j’ai orchestré la montée de tension entre l’enseignant et le personnage de Dico. Ce fut un travail de montage. »
François Bégaudeau n’évoque pas le cinéma sans raison : sortant d’une émission cinéphile sur RFI, il nous avait donné rendez-vous dans un café près de la station Strasbourg Saint-Denis avant de prendre un train pour Creil où il devait prononcer une conférence sur Le Facteur sonne toujours deux fois projeté en soirée.
Son narrateur d’ailleurs fait quelques références au cinéma. Il est à son image : la repartie cinglante et ironique et l’esprit vif ne masquent pas une véritable affection pour les autres. À cet égard aussi, Entre les murs est une réussite. Si l’on rit souvent, si les professeurs comme les élèves sont montrés dans leurs moments de faiblesse, on ne trouvera pas trace de mépris dans les 270 pages du roman. Il y a de l’admiration même parfois pour la vivacité des élèves, leur façon de résister à l’enlisement auquel l’école les prépare. Ainsi de Sandra dont l’obésité renferme une réserve d’énergie atomique. Ainsi d’Hinda, aérienne et légère. Ainsi même de Souleymane, figure aujourd’hui traditionnelle de l’élève qui refuse d’enlever sa capuche : « Souleymane était entré dans la classe avec sa capuche rabattue, j’ai attendu qu’il soit assis.
– La capuche, Souleymane, s’il te plaît.
Il l’a fait glisser sur ses épaules d’un coup de tête.
– Le bonnet aussi. »
Rituel immuable, chaque jour renouvelé, comme d’autres au sein du collège : la machine à café qui refuse les pièces de monnaie, la photocopieuse récalcitrante, les conseils de discipline qui se terminent tous par « Nous avons voté l’exclusion définitive. »
Le roman permet de confronter des langues différentes : le français qu’on doit enseigner, celui qui se parle du côté des élèves (« L’autre elle m’fait golri c’est tous des cheums avec des vieilles têtes, on dirait ils ont été ratés dans le ventre de leur mère ») et leur métissage qu’on trouve dès lors dans la bouche des professeurs. L’alternance entre la classe et la salle des profs révèle des similitudes que la vitesse de la narration rend ironiques : ainsi de Léopold, jeune professeur aux multiples boucles d’oreille, dont les t-shirts à la gloire du monde gothique n’ont rien à envier aux fringues publicitaires des élèves.
Les livres d’Olivier Cadiot figurent en bonne place dans la bibliothèque du romancier. Le travail qu’il fait ici en accolant des pans de réalité en témoigne. C’est enivrant, rapide, drôle, effrayant souvent lorsque la violence latente devient trop prégnante. On pourrait, à partir de là, faire mille discours, prendre la température de notre société. Mais Entre les murs ne s’aliène à aucun parti pris : le roman enregistre le pouls de l’aujourd’hui. Il fait entendre, voir, sentir. Il nous plonge au cœur d’un système déboussolé où chacun essaie, comme il peut, de trouver sa dignité, ou abandonne. La phrase, inventive parfois, met là-dessus un peu de ce merveilleux qui gît dans le quotidien.
Après le très séduisant Jouer juste et Un démocrate, Mick Jagger, 1960-1969, François Bégaudeau signe donc un roman important sur un sujet qui, comme le foot ou le rock, fait partie de sa vie.
Né en 1971 à Luçon, « c’est-à-dire en Vendée républicaine », François Bégaudeau est issu d’une famille d’enseignants. En 1976, elle s’installe à Nantes où François jouera jusqu’à 16 ans milieu de terrain dans le « club de foot prolo » du quartier de Mangin-Beaulieu. L’adolescent découvre les cafés-concerts et suit les groupes de la région. Entre rock et punk, les plages que le Nantais fréquente sont celles des Stones, des Ramones ou des Sex Pistols. Les Ramones vont lui offrir son premier nom de plume : il signe Joe Ramone les articles du journal de la Fac de lettres. Le nom restera ensuite associé à son vrai prénom pour ses premiers papiers aux Cahiers du cinéma en 1995.
Ses études lui laissent le temps de créer le groupe de punk-rock Zabriskie Point en 1992. « On a commencé par faire des répètes à la con à trois puis à cinq. Je ne savais pas jouer d’instrument alors je me suis mis à chanter ». Zabriskie Point enregistrera quatre albums en sept ans, avec François Bégaudeau en chanteur auteur. Comme il l’écrit dans Un démocrate, Mike Jagger, 1960-1969, les années rock ne sauraient durer sans trahir et il faut à un moment ranger les amplis. Zabriskie Point se sabre en 1999. « Au mieux, on a dû vendre 10 000 albums ».
Devenu professeur de français en 1996, Bégaudeau enchaîne l’écriture d’un roman aussitôt le groupe dissous : Histoire de l’homme nouveau « a été lu par douze personnes ». Le manuscrit envoyé à cinq ou six éditeurs ne lui vaut qu’un contact avec P.O.L : « j’avais emprunté à la poésie contemporaine. C’est un livre assez théorique. » L’échec ne le décourage pas. Un deuxième texte est envoyé à P.O.L qui le refuse mais avoue avoir longtemps hésité. La Parole « racontait mes déplacements dans Paris. J’écrivais un bloc par jour, comme je l’ai fait pour Entre les murs. La Parole a été ensuite disséminé dans tous les livres que j’ai écrits depuis. Ça m’a beaucoup formé de l’écrire. »
Le roman nous plonge au cœur d’un système déboussolé où chacun essaie, comme il peut, de trouver sa dignité, ou abandonne.
Le romancier en herbes, touché par le travail d’une Nicole Caligaris, d’un Régis Jauffret, d’un Pierre Senges, d’une Olivia Rosenthal découvre les éditions Verticales. Son ami et collègue Philippe Adam vient justement de voir son manuscrit accepté par Bernard Wallet le directeur de Verticales. Il fait passer le troisième manuscrit de François Bégaudeau : un monologue dans un vestiaire de foot. Jouer juste (2003) est aussitôt remarqué par la critique. On y entend un entraîneur défendre une philosophie esthétique et radicale du jeu, de la vie. Le livre est jubilatoire, brillant, drôle. « Comme Pierre Senges, j’aime beaucoup faire de la théorie ludique. »
C’est à la même époque que le romancier est invité à entrer au comité de rédaction des Cahiers du cinéma par Emmanuel Burdeau son nouveau rédacteur en chef. Entre littérature et cinéma, l’enseignement lui prend « cent trente-six jours » par an. Assez encore pour écrire un roman impressionnant, Dans la diagonale où la phrase prend son autorité. Et Alexandre Civico n’attend pas longtemps le Mike Jagger qu’il a commandé à l’écrivain pour alimenter sa collection aux éditions Naïves : quatre romans en moins de trois ans, Bégaudeau ne chôme pas… D’autant que le jeune homme rejoint après avril 2002 le site gauches.net. Il rend compte des revues de politique. Engagé auprès des verts, « adolescent, j’étais de gauche radicale », il s’est forgé une sensibilité politique en lisant Althusser, Foucault et aujourd’hui Jacques Rancière « le penseur dont je me sens le plus proche. Comme de la revue Vacarme. »
Entre les murs vient de sortir, il ignore encore ce que sa lecture provoquera chez ses collègues : « il faut une morale du récit dès qu’on parle du réel. Au début, je ne voulais pas parler de la salle des profs, mais j’en ai eu besoin pour faire une série de contrepoints. Pour moi, c’est faire œuvre de démocrate. » Un démocrate cinglant, toutefois.

T. G.

Entre les murs
François Bégaudeau
Verticales
270 pages, 16,90

François Bégaudeau



1971
Naissance à Luçon (un grand frère et une grande sœur)
1992/99 Chanteur et parolier du groupe punk-rock Zabriskie Point
1995 Écrit pour Les Cahiers du cinéma
2003 Premier roman Jouer juste

D’un tableau l’autre Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°70 , février 2006.
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