Ah, la douce vie de bureau… Ces cinq jours durant lesquels on peut se réfugier confortablement « à l’abri de soi-même », dans un nid douillet où chaque heure se ressemble. « Dans l’étendue du paysage de bureau, le besoin d’originalité se perd. On a le droit de rester assis longtemps sans rien représenter de particulier. » Le genre de détails qui donne à Anne Weber l’envie soudaine de s’envoler. En même temps que sa lettre de démission, elle se met à rédiger un chant d’adieu incisif et narquois dédié à ses collègues, ces Chers oiseaux empaillés, à qui l’idée même de liberté semble donner le vertige. Ce premier livre vaillamment mené, elle s’attaque au deuxième, où l’on sera surpris d’apprendre qu’elle s’est volontairement constituée prisonnière dans le bureau paysager de la société Cendres & Métaux. Des remords ? L’espiègle Anne Weber a réclamé à cette entreprise de prothèses dentaires de lui prêter un espace dans ses locaux, dans le seul but d’écrire. Du haut de son perchoir, la voilà scrutant la vie docile des employés qui œuvrent à ses côtés. Joli prétexte pour émettre des hypothèses sur l’évolution du capitalisme, ou passer au crible les codes hiérarchiques. « S’il ne suffit pas de se comporter en directeur pour en être un, ce n’en est pas moins une des conditions initiales. » La logique des raisonnements est poussée jusqu’à l’extrême, faisant exploser petites et grandes vérités. « Qui a de l’argent peut le laisser travailler à sa place, qui n’en a pas doit travailler lui-même. » Quelqu’un se sent concerné ? Anne Weber fait un pied de nez à tous ceux qui occupent leur temps à le transformer en argent, elle qui met un point d’honneur à investir en temps libre le moindre sou récolté.
Chers oiseaux et Cendres & Métaux
de Anne Weber
Seuil, 80 et 128 pages, 10 et 11 €
Domaine français Capital temps
avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72
| par
Lise Beninca
Des livres
Capital temps
Par
Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°72
, avril 2006.