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Zoom Lisbonne mise en trope

avril 2006 | Le Matricule des Anges n°72 | par Thierry Guichard

Écrit à l’encre ironique et incisive, le premier roman d’Olivier Maulin « En attendant le roi du monde » fait de la mauvaise foi une vertu littéraire. Avec Lisbonne au cœur et le rire aux lèvres.

En attendant le roi du monde

L’expression d’une sorte de méchanceté a parfois quelque chose de réjouissant. Elle peut même provoquer le rire, un rire à la fois un peu honteux et libérateur. Il faut pour cela que la méchanceté soit sans amertume, qu’elle se nourrisse à une évidente mauvaise foi et, surtout, qu’elle masque, tout en montrant qu’elle la masque, une véritable tendresse pour ceux, celle ou celui à l’encontre de qui on l’exerce. La mauvaise humeur dont fait preuve Romain, le narrateur du premier roman d’Olivier Maulin, le rend ainsi, dès les premières pages, attachant. Voilà un jeune homme que sa femme Ana tire par la manche pour l’obliger à partir vivre au Portugal. Sous prétexte que « La France, c’est le passé », cette descendante de Portugais n’a d’autre ambition que de réussir leur vie à Lisbonne. Ce qui se traduit dans la bouche de notre héros par : « cette conne m’avait transformé en immigré. »
Laissant la France derrière eux et la complaisance derrière lui, notre héros et sa moitié prennent un bus homérique et se retrouvent dans une pension comme il n’en existe qu’au Portugal. Là, d’abord, Romain ne fait rien. Rien de rien. À l’excitation de sa belle devant la vie nouvelle (« Elle faisait Rastignac façon morue : « À nous deux Lisbonne ! » »), il n’oppose qu’un immobilisme ponctué de cigarettes grillées à la rambarde du balcon, face au Tage, et dont il écrase les mégots en se demandant « ce que je foutais dans ce bled ». Romain est un réfractaire à l’enthousiasme, à la méthode Coué, à la mode, à la vie moderne et même, un temps, à sa voisine, Dulce qui dénude sa « grosse poitrine » le matin pour regarder depuis le balcon voisin la lumière courir sur le fleuve. Dulce va servir de premier guide à un Romain assez peu pressé de trouver du travail. Les cours de portugais qu’il suit font de lui un vrai Français : de tous les étrangers, il est le seul à ne pas faire de progrès. Il pourrait être un de ces personnages qu’affectionne de jouer Jean-Pierre Bacri.
Ce côté franchouillard, les psychanalystes de comptoir pourraient l’attribuer au fait que l’auteur est né la veille du 14 juillet et prendre prétexte que c’était en 1969 pour expliquer la présence dans l’ouvrage de quelques scènes érotiques, dont une cosmogonique partouze.
Car Romain, tout ronchon qu’il est, semble ne pas déplaire aux donzelles qu’il croise. Il est vrai qu’elles sont pour le moins excentriques, comme Cécile qui ne peut s’empêcher d’aboyer au moment du coït. Cécile focalise une bonne partie de la misogynie de Romain qui n’est qu’une moitié de sa misanthropie. Mais on peut être misanthrope et se faire des amis. Romain retrouve Lucien, rencontré dans le bus. Lucien est pas mal allumé : il voyage en chaman dans le monde des esprits dès qu’il fait l’amour, touche le ciel très souvent puisqu’il est grutier et aime Lisbonne parce que les rues y sont pavées de telle sorte qu’on ne risque pas d’y trouver des rollers… Les deux compères rêvent d’un retour de la royauté façon Tintin. Ils emmèneront pépé, un sacré lascar revenu il y a longtemps d’Angola, dans une nuit rocambolesque. Olivier Maulin n’a pas peur de laisser la fiction filer le parfait amour avec la fantaisie. Ainsi Lucien initiera-t-il Romain au chamanisme. Notre narrateur se retrouve, pur esprit, dans les salons de la Maison-Blanche : « Je me suis rapproché du type au fauteuil sur la pointe des pieds (…). Le type dormait la gueule ouverte en ronflant. » C’est Bush : « J’ai pris un bretzel dans un petit sachet qui traînait sur la table et je l’ai mis devant la bouche de Bush. Eh, Lucien, regarde ! J’ai dit. Et hop, j’ai lâché le bretzel ».
Le projet littéraire d’Olivier Maulin ne réside certes pas dans une langue chatoyante et musicale, « c’est vrai, avoue-t-il, que c’est un peu écrit au burin. Voire bourrin ». Pour autant, le livre s’est constitué autour de thèmes qui ne sont pas traités à la légère : pour parler des grues, l’auteur s’est plongé dans la revue « pénible à lire » Chantiers de France. Le chamanisme de Lucien est inspiré de celui des Yakoutes en Sibérie. Surtout, les pages où Pépé évoque l’Angola sont nourries d’une vraie connaissance de l’histoire du Portugal. C’est qu’Olivier Maulin a étudié son histoire à Strasbourg, Grenade puis Paris IV avant d’abandonner sa thèse : « ça m’ennuyait ». Depuis, il a multiplié les boulots, et aujourd’hui son poste de facteur lui laisse ses après-midi. Autrement dit : du temps pour écrire ou pour injurier les éditeurs, à commencer par celui qui le publie. C’est par ce biais-là qu’il a réussi à entrer dans le catalogue des éditions L’Esprit des péninsules qu’il a découvertes par La Littérature sans estomac de Jourde. Il leur adresse le manuscrit d’En attendant le roi du monde. Comme la réponse se fait attendre, il envoie alors une lettre d’insultes. L’éditeur lui répond : si son manuscrit est du même tonneau que sa lettre, il veut bien le lire, mais il faut l’envoyer à nouveau. L’attente durera encore trois mois et le manuscrit est pris. Moralité : « il faut insulter les éditeurs préventivement. »
Olivier Maulin souhaite réenchanter le monde, replacer les mythes dans la fiction. Son premier roman, incisif et drôle, devrait être le premier volet d’une trilogie dont on… attend la suite.

Thierry Guichard

En attendant le roi du monde
Olivier Maulin
L’Esprit des péninsules, 271 pages, 18

Lisbonne mise en trope Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°72 , avril 2006.
LMDA PDF n°72
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