Écrire, pour Arno Schmidt, c’est toujours livrer combat, s’engager corps et âme dans un duel contre la langue et les orthodoxies. C’est se lancer dans une lutte excitante où il s’agit tout autant de se maîtriser que d’imposer une vision. Ce qui fait que ses romans ont toujours quelque chose d’un peu triomphal et de souvent jubilatoire même lorsqu’ils abordent les sujets les plus graves. Des textes ne correspondant à aucun modèle, nés d’un art de la décantation et émergeant du tumulte disparate de la vie, de l’Histoire et des complexités de l’âme. Sans renier l’efficacité des formes du passé, Arno Schmidt a développé, dès le début des années 1950, « un agencement particulier des éléments de la prose » capable de rendre compte de la porosité du présent, de la simultanéité des actions comme du jeu des pensées et des sensations. De la réalité, si composite et si discontinue, (« De minuit à minuit il n’y a pas du tout « 1 jour », mais « 1440 minutes », et parmi celles-ci il y en a tout au plus 50 dignes d’intérêt !) », il ne retient donc que ce qui compte, ces « petites unités d’expériences intérieures et extérieures », ces « instantanés » dont il organise le cosmos sur la page. Succession de paragraphes systématiquement inaugurés par quelques mots en italiques qui donnent l’élan, « des mots soigneusement sélectionnés pour produire le choc initial. La « piqûre » qui précède l’injection ».
C’est cette technique du récit qui a présidé à l’écriture de Goethe et un de ses admirateurs et de Cosmas ou la Montagne du Nord, les sixième et septième volumes des Œuvres d’Arno Schmidt, un chantier entrepris en 2000 par les éditions Tristram, sous la houlette de Claude Riehl, l’inspirateur et l’architecte de ce projet, mais surtout l’extraordinaire traducteur que l’on sait, capable de rendre toute l’inventivité de la langue de Schmidt et jusqu’à sa vibration la plus intime. Un Claude Riehl hélas disparu, mort subitement le 11 février dernier, et qui avait reçu l’an passé, le Prix de la Traduction Gérard Nerval à l’occasion de la publication de On a marché sur la Lande, un roman qu’il jugeait particulièrement « intimidant », et pour cause (cf. Lmda N°61). Mais grâce aux traductions qu’il avait déjà achevées, d’autres volumes, et des inédits, viendront compléter la collection.
Cosmas ou la Montagne du Nord (1959) est un récit situé dans l’Antiquité. Nous sommes en 541 après J.-C., près de Byzance, sur les rivages de la mer Noire, dans une ferme-forteresse. Le jeune Lycophron y apprend les mathématiques, la géodésie et l’astronomie, (quelques-unes des passions de Schmidt) auprès d’un savant grec, Eutokios, revenu clandestinement dans l’empire après avoir été banni par Justinien 1er qui, ayant épousé la foi chrétienne, chasse tous les agnostiques. Mais voici qu’un haut dignitaire de la cour de Justinien vient s’installer dans son immense maison de campagne, voisine de la ferme. Lycophron est alors chargé d’aller saluer l’arrivant. Il est fastueusement...
Événement & Grand Fonds La vie sexuelle des mots
mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73
| par
Richard Blin
Deux insolentes fictions, incisives et souvent hilarantes, pour continuer à découvrir l’univers de l’iconoclaste Arno Schmidt, « alchimiste de la prose », rénovateur de la langue allemande.
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