Dans ce roman, pas de morbidité, ni de voyeurisme, encore moins d’hystérie mais une intensité dramatique très forte qui frise parfois l’oppression. Arnaud Cathrine fait avancer son personnage, Florian, un jeune adolescent, sur un fil très tendu, très haut, à la limite du vertige. Les oscillations entre la vie et la mort, la folie et la raison, l’enfermement et les échappées soulignent l’incessant travail d’équilibriste de ce fragile adolescent. À l’hôpital psychiatrique où il a demandé à être interné pour rechercher une trace, un signe de Sofia, Florian rencontre Medhi, un éducateur. Quelque chose les attire l’un vers l’autre, peut-être l’existence d’un vide dans leur vie respective pourrait-on croire. Pour Florian, l’absence de Sofia, l’attente d’un signe qui ne vient pas, la difficile acceptation de la séparation définitive. Pour Medhi, l’éloignement d’avec sa famille, la difficulté de s’établir quelque part. Il est comme en transit, son appartement est vide, il repartira bientôt. Mais Medhi incarne aussi quelque chose d’extraordinaire (Medhi Mehdi ne signifie-t-il pas en arabe le « Messie » ?). Il se trouve au bon endroit, au bon moment. Il ne s’étonne pas que Florian se sauve de l’hôpital pour venir sonner tard dans la nuit à la porte de son appartement. Il accueille l’adolescent chez lui jusqu’au lendemain matin. « Je me disais bien que tu n’avais rien à foutre là-bas, dit-il. (…) Ce n’est plus l’éducateur qui me parle. Juste un garçon. » En lui offrant son amitié, Medhi sauve la vie de Florian et lui permet de faire enfin son deuil.
La Vie-peut-être est un récit de l’intérieur. Durant une semaine, Florian observe et tente de restituer ce qu’il ressent depuis la mort de sa meilleure amie.
Son regard balaye ce qui l’entoure. Le jeune garçon donne un aperçu sans analyse profonde des choses, avance à tâtons et le lecteur le suit en parallèle depuis le premier paragraphe énigmatique du roman : « ça vient de nulle part. On m’a déjà posé la question cent fois et je n’ai rien de plus à dire. Ça vient de nulle part. Pourquoi est-ce qu’ils cherchent à tout prix une explication ? Je dis : « C’est comme ça. » Depuis toujours. C’est la vie peut-être. »
Pour Florian, la vie est un mystère dont il ne prétend pas trouver la clé « mais (comme) la vie lui ordonne de vivre », il cherche une issue possible. La mort de Sofia une année plus tôt interpelle l’adolescent dans son propre rapport à la vie. Dans cette unité psychiatrique, dans ce lieu d’enfermement blanc et froid, il voit des êtres désincarnés, fantomatiques, le regard vide. Sa rencontre avec Sylvain est emblématique de sa souffrance : « Je l’ai choisi parce qu’il ne parlait pas. Je l’ai choisi parce qu’il était seul à une table, prostré dans son coin, à l’écart de tous ». Dans cet espace clos, l’impossibilité des rencontres est récurrente : la faillite de la parole et les silences renforcent le sentiment d’une solitude profonde. Ici, l’espace entre la vie et la mort est réduit et l’oppression affleure. Le basculement du rationnel à l’irrationnel est possible à tout moment. On se souvient alors de la citation désespérée de Sarah Kane (Manque) en exergue du roman « Je n’ai pas la musique,/ Seigneur, j’aimerais tellement / avoir la musique en moi/ mais tout ce que j’ai c’est les mots » et on frémit pour Florian. Lorsqu’il se sauve pour aller retrouver Medhi, l’espoir naît : l’alternative d’un autre possible émerge enfin. Arnaud Cathrine signe ici un beau roman empreint d’une justesse remarquable dans son propos, évitant l’écueil de la démagogie et du pathos.
La Vie peut-Être
Arnaud Cathrine
L’École des loisirs,
« Médium »
102 pages, 8,50 €
Jeunesse Vertigo
mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73
| par
Malika Person
Après la mort de son amie anorexique, un adolescent demande à être admis dans le service où Sofia a vécu ses derniers instants. Voyage au cœur d’un mal-être.
Un livre
Vertigo
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°73
, mai 2006.