Des aperçus saisissants, des fulgurations, des pensées-paysages, une explosion féconde de sentences ruisselantes d’énergie éveilleuse font et forment le dernier livre de Manz’ie. Un livre inclassable, né dans les marges de la création, fait de tout ce qui n’a pu trouver place dans les livres précédents. Un montage d’intensité rythmé par le retour de thèmes obsessionnels, par la scansion imposée par une pensée en révolte contre le pouvoir pronominal, la forme d’aliénation qu’ils symbolisent. Manz’ie ne veut plus de leurs « carcérales limites », de « ce morcellement de visage-à-toi, à-moi… » derrière lequel « vivent des absences dont l’identité-sûre-d’elle n’est qu’un visage de pierre tombale ». Il ne veut plus de « la satisfaction graisseuse de se prendre pour soi-même ». Plus de « ces moi-je illusoires d’occupant/ occupé ». Ce qui l’intéresse, ce sont les « populations de notre corps-territoires que l’identité ne prend pas en compte ». C’est l’énigme d’être saisie jusqu’en son incongruité. Parce que nous sommes des « êtres-monde » dont il s’agit d’épouser les rythmes, d’explorer les îles et les archipels. C’est de cette forme d’existence buissonnière et de l’accueil à réserver à l’inattendu que témoigne La Chambre des bateaux. Une sorte de Bateau ivre dérivant au sein du grand étonnement, au gré de ce qui est et qu’on n’a encore jamais vu. De la vie et de l’âme en voyage, mais un voyage qui est l’écriture elle-même. « J’écris avec le toucher des mots dans le grand-noir-de-dire… regardé par le sujet invisible dont j’inspire les doubles ». Autrement dit assumer cette forme de trans-identité qui nous transforme en passager clandestin du destin. Être ce « braconnant-prédateur-d’absolu » naviguant « ses obscurités sans autre éclaircie que de naviguer encore ».
La Chambre des bateaux de Manz’ie
Éditions Comp’Act, 96 pages, 19 €
Poésie Naviguer ses obscurités
mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73
| par
Richard Blin
Un livre
Naviguer ses obscurités
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°73
, mai 2006.