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Domaine étranger Rhétorique meurtrière

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Thierry Guinhut

Talenteux conteur d’histoires, Andrea Camilleri imagine une enfance sicilienne prise à la gorge entre catholicisme et fascisme.

La Prise de Makalé

Toujours, Andrea Camilleri a traqué les impostures religieuses et politiques. En témoigne Indulgences à la carte (Le Promeneur, 2002) qui dénonçait les « bulles d’indulgence » accordées par le clergé catholique au riche pécheur, tout en les rapprochant des comportements mafieux. La mafia sicilienne est d’ailleurs souvent concernée par les enquêtes du fameux commissaire Montalbano qui fait la fortune de l’écrivain. Aujourd’hui, avec La Prise de Makalé, la Sicile est le cadre d’une tragique et burlesque collusion entre fascisme et religion.
Nous sommes dans un village des années trente, lors du lancement de la glorieuse campagne militaire contre l’Ethiopie, au cours de laquelle « la prise » de la bourgade de Makalé est célébrée comme il se doit sur une carte épinglée, puis délaissée… Que se passe-t-il alors si l’on se laisse emporter par la rhétorique fasciste, si l’on rêve de « tuer l’Abyssin » ? C’est à cette question que répond à sa manière l’auteur, en créant le petit Michilino, enthousiasmé, comme lui-même alors, par les discours de Mussolini, « l’homme de la providence », selon le Pape. Encadré et galvanisé par les préceptes catholiques, par les jeunesses fascistes (les « Balilla ») il aime à 6 ans autant Jésus, auquel il se confesse directement, que les discours du Duce qui font à sa surprise bander son impressionnant organe masculin. Tout cela paraît d’abord grotesque et le lecteur s’amuse ferme, y compris lorsqu’une jeune veuve ouvre ses cuisses pour une intime inspection lorsqu’il joue sous la table avec son tank : « Comment est-ce qu’elle avait pu faire pour se blesser à cet endroit, pauvre Clementina ! » Cependant, l’enfant se convainc de la nécessité impérieuse d’aller assassiner le père d’un camarade, tailleur prétendument communiste. Le tragique poisse alors le burlesque. Et quand Michilino comprendra comment son professeur particulier et sa cousine utilisent ses attributs en toute hypocrisie, comment les hommes et les femmes son père avec la cousine en question, sa mère avec le prêtre forniquent comme des bêtes pécheresses, il formera le projet de nettoyer la porcherie familiale. On ne révélera pas au lecteur par quel moyen l’enfant halluciné réalise son ambition ni comment il couronne lui-même le sacrifice final…
La dimension morale et satirique de cet apologue talentueux est flagrante. En ce sens toute propagande, toute connivence et parade sociale visant une héroïque société ordonnée à la perfection risquent d’engager à commettre l’enfer sur terre. Un enfant ou un adulte influençable à moins qu’il ait plaisir ou intérêt à la violence glisse sur les rails d’une espérance, d’une certitude, d’un comportement dogmatique, totalitaire et meurtrier, qu’il s’agisse de la foi chrétienne ou du fascisme, celui des camps nazis ou des goulags… Loin des vertus d’innocence traditionnellement attribuées à l’enfance, Camilleri montre qu’un benêt de 6 ans peut être et peut devenir un monstre.
Imaginons un moment que ce roman soit une variante possible de l’autobiographie d’Andrea Camilleri. On le lira comme une uchronie personnelle, ce genre littéraire enrichi par Roger Caillois lorsque dans Ponce Pilate, il imagine Jésus acquitté, donc l’inexistence du christianisme ; ou lorsque Philip K. Dick propose dans Le Maître du haut château une victoire des nazis sur les États-Unis ; ou encore, plus récemment, Philip Roth qui, dans Le Complot contre l’Amérique, permet à Lindbergh de devenir président des États-Unis et de promulguer des lois antisémites… Camilleri alors, sans engager aussi loin l’Histoire, ajouterait un affreux possible sur le chemin d’une bifurcation de sa vie d’enfant. Heureusement, non seulement il n’a pas commis de tels crimes, mais il a opéré un salutaire rétablissement qui lui a permis de nous pousser sous les yeux ce beau livre, fascinant, dérangeant et en forme d’avertissement à ne jamais négliger.

La Prise de Makalé
Andrea Camilleri
Traduit de l’italien
par Marilène Raiola
Fayard
288 pages, 18

Rhétorique meurtrière Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
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