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Domaine étranger D’une guerre l’autre

septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76 | par Sophie Deltin

Dans deux romans adressés au public des années 1950, E.M. Remarque constate l’échec des Allemands à tirer les leçons des tragédies qui ont défiguré le XXe siècle.

Un temps pour vivre, un temps pour mourir

Malgré son ascension en apparence irrésistible, la guerre reste toujours une contingence absolue. Et contre ce scandale lancinant qu’elle représente et l’absurdité des hommes à créer les conditions de sa réédition, s’est dressé sa vie durant (1898-1970) Erich Maria Remarque, l’auteur du célèbre À l’Ouest rien de nouveau (1929) que les exils forcés dès 1933 ne parviendront pas à entamer dans son esprit de dénonciation.
Dans L’Obélisque noir, c’est le chaos de la société allemande saignée à blanc et humiliée par la défaite de la Grande Guerre qui est brossé avec beaucoup de réalisme. Le narrateur, Louis Bodmer, double à peine voilé de celui qui envoyé au front en 1916 en est revenu blessé et pacifiste convaincu, fait figure d’archétype : jeune soldat de 25 ans qui essaie de se frayer un chemin vers un semblant de normalité, il a renoncé à sa carrière d’enseignant, travaille désormais dans une entreprise de monuments aux morts et, à ses heures perdues, joue de l’orgue dans un asile psychiatrique. Dans le contexte de banqueroute de 1923, où l’inflation « atteinte de phtisie galopante » accule à la faillite les tenants « de l’épargne, de l’honnêteté et de l’honneur », tous les coups bas et les trafics pour extorquer à la mort le plus de profit possible deviennent aisés. Mais des spéculateurs qui s’étourdissent la nuit dans l’alcool des bordels, aux rentiers, invalides et autres estropiés de l’âme qui tentent de survivre à la misère, la corruption, insidieuse mais irrémédiable, vient abîmer les valeurs comme les sentiments. Chantages, pulsions morbides, commerce tarifé et jouissance sordide de la domination, voilà à quoi se réduisent les rapports entre les hommes dans une époque traumatisée et gangrenée par les germes de « la vérole nationale-socialiste ». De cette dévaluation généralisée, chacun s’en sort alors comme il peut et règle ses comptes avec sa conscience devenue subitement « élastique ». Dans ce tableau historico-social s’exprime une violence brutale et glacée que l’humour souvent sarcastique de l’auteur ne suffit pas à désamorcer.
Pour Erich Maria Remarque, qui a écrit ce roman au cœur des années 1950 dans la hantise d’une Troisième Guerre mondiale, l’histoire allemande semble être marquée par le sceau d’une continuité et plus largement, par une circularité funeste qui ramène périodiquement guerre, violences, haine. Telle serait d’ailleurs la fonction prémonitoire de l’obélisque noir, le symbole central du roman et l’ « emblème de la firme », qui baptisé du nom évocateur d’« Othon » (le prénom de Bismarck) avertit ses contemporains, tel un doigt pointé vers le ciel en guise de protestation contre leur aveuglement devant la « nouvelle Apocalypse » dans laquelle la course effrénée aux armements de la Guerre froide menace de les précipiter. Assurément, cette façon d’insister sur la filiation avec le militarisme prussien, au-delà des changements induits par l’avènement d’une démocratie (celle d’Adenauer, bien prompte à réhabiliter des anciens fonctionnaires nazis) dont Remarque relativise précisément l’authenticité, a valu toutes les critiques à son auteur. Ce fut d’ailleurs le même scepticisme à la réception de cet autre roman écrit deux ans plus tôt en 1954, Un temps pour vivre, un temps pour mourir.
Comme Louis Bodmer mais vingt ans après, Ernst Gräber fait partie de ces êtres dressés dans l’exaltation hypnotique des promesses de revanche et écrasés de discipline, que la guerre est venue « tronqu(er) » dans leur jeunesse et leurs rêves. Engagé sur le front russe dans la Seconde Guerre mondiale, le soldat obtient une permission après avoir connu l’ « enfer » de Stalingrad. De retour dans sa ville où tout n’est plus que ruines et effroi des cadavres, il expérimente bientôt les attaques aériennes des Alliés. Amer mais implacable chroniqueur de la barbarie et de la destruction, E.M. Remarque a l’art du détail atroce, parfois jusqu’au cynisme, et dans ses descriptions de corps mutilés l’écrivain n’hésite pas à souligner la métamorphose du terrible qui devient grotesque, voire ridicule. C’est pourtant dans ce décor ravagé que les yeux du soldat se dessillent et que sa conscience morale s’effrite, rongée par le « désespoir infini » et le dégoût devant les exactions commises au nom d’un devoir « absurde, inhumain, criminel ».
Dans ce roman féroce et dérangeant, la notion de vie « civile » vole en éclats, devenue à son tour « un front différent sans canons ni fusils, mais tout aussi dangereux que l’autre ». Par-delà ce sens aigu de l’anéantissement, Remarque reste pourtant fasciné par le « miracle » de la vie dans ses moindres manifestations de la plus ténue à la plus inopinée. Tout comme Isabelle, la jeune femme schizophrène que Bodmer a rencontrée à l’asile et dont la folie a la sagesse de débusquer le faux derrière les évidences momifiées, c’est bien la pulsion de vie et cette part d’espoir fragile que représente Elisabeth, une amie d’enfance retrouvée au milieu des décombres par le soldat Gräber.

Sophie Deltin

Erich Maria Remarque
Un temps pour vivre, un temps pour mourir
Traduit de l’allemand et préfacé par Michel Tournier
Folio, 512 pages, 7,50
L’Obélisque noir
Traduit de l’allemand par Gaston Floquet
Préface de Lionel Richard
Folio, 542 pages, 7,50

D’une guerre l’autre Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°76 , septembre 2006.
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