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Poésie Entre soi et les étoiles

novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78 | par Marta Krol

Marquée par le divin et le tragique, la poésie de l’Israélien Avot Yeshurun cherche à rapprocher l’irréconciliable.

La Faille syro-africaine

Ce livre est une rencontre avec un homme, poète d’une humanité immense mort en 1992, qui reconnaissait « Je m’avance en aveugle vers le poème. (…) Je suis devant un mur impénétrable. Je ne comprends rien ». Si bien qu’on est presque gêné de le commenter, tant l’évidence de la citation rend caduque les divagations qu’elle occasionne. Avot Yeshurun est le nom choisi par le jeune homme qui en 1925 quitte sa famille et sa petite ville polonaise de Krasnystaw pour l’Israël. Ils disparaîtront dans la Shoah. Lui en gardera sa vie durant, selon ses propres paroles, une intense fièvre qui ne tombe pas. « Je suis le quoi et pas le qui » : lambeau de culpabilité de n’avoir pas été digne de voir blanchir la barbe de son père. Le remords est de fait le thème majeur de cette poésie, jusqu’à annuler tout le reste par cet aveu désespéré en 1989 : « Tout ce que je dis est bâti sur l’absurde./ Car tout ce qui me manque c’est ma mère et mon père et ma sœur/ et mes frères… » Le motif corollaire est la lettre des siens (« Dans combien encore déjà de temps on pourra revoir toi ? »), qui figure le poids d’une relation encore possible à sauver. Triste affaire d’un individu qui ne s’autorise pas à vivre pour son compte ? C’est que, au contact de cette écriture minérale, austère, première, comme issue de la « nappe prélangagière » à laquelle voulait croire Merlau-Ponty, d’une force ramassée et compacte propre à « une masse de logique, une masse de pierre, une masse de vérité », on est forcé de baisser de ton.
Pour cause : l’esthétique adoptée est fréquemment inspirée de la Bible, avec sa grande solennité due à la technique d’une reprise non identique d’un élément énoncé récemment, toujours sous une forme simplissime : « dans le froid de l’arbre se tient une tourterelle. / Se tient sur l’azédarach comme une pomme/ oubliée sur l’arbre. Ainsi la tourterelle/ se tient-elle sur l’arbre. » De la Torah aussi semblent provenir ces formules de la fin de nombreux poèmes : Bien., Terminé. Soit., ou bien des phrases psalmodiées du genre « Il s’est enfui de devant de ma face », tandis que la structure comme la teneur d’autres passages font penser au Nouveau Testament : « Celui qui perd l’argent qu’il a épargné sur son pain, il travaillera dur et comblera. Mais s’il perd le secret qu’il a épargné, qui comblera ? » Mais nulle servitude, chez Yeshurun, à un canon quelconque. « A force de briser » résolument moderne, cherchant une langue rebelle sinon obscène, il livre aussi des textes faits d’une colère transformée en une série de phrases cinglantes, proches du juron. Généralement, les phrases sont simples et courtes, et leur structure singulière d’autant mieux mise à nu.
Comme un énoncé mathématique, le poème est (selon Alain Badiou), ici plus que jamais, de nature axiologique. Il se justifie de lui-même. Ainsi, dit magnifiquement Yeshurun dans un entretien publié en fin du livre, « Il faut écrire sur tout. Tout est beau dans le monde. Ou plutôt tout est vérité. Tout existe. » L’ampleur de ce mouvement insuffle aux textes une grandeur étrange, celle du langage quand il touche à l’être, alors qu’ils traitent d’objets aussi peu séduisants que la souche, l’unique protagoniste du cycle « Neuf sur la souche », d’une beauté de diamant brut qui seule suffit à justifier l’affirmation provocante : « L’amour, je le crée/ avec tout ce qui vient. »
La question de la judéité y prend une place de choix, de manière que la communauté israélienne eut du mal à concevoir : « Comment se fait-il que les oreilles des juifs n’entendent pas ? Es-tu jamais allé au-devant des Arabes pour connaître leur visage ? Sur notre propre Shoah nous avons pleuré, et leur Shoah, nous ne la pleurons pas ? » Troublante dans sa manière de faire disparaître la lisière de l’altérité, cette œuvre doit être accueillie en son opacité essentielle. « Parce que le connu n’est pas l’affaire du poème », il est censé être violence, nécessité intérieure faite chair, sans origine et sans fin. Le poème doit être simplement « posé entre soi et les étoiles ».

Marta Krol

La Faille syro-africaine
Poèmes et proses
Avot Yeshurun
Traduits de l’hébreu, édités et préfacés par Bee Formentelli
Actes Sud, 251 pages, 24

Entre soi et les étoiles Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°78 , novembre 2006.
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