Acteur renommé, Sam Shepard est aussi écrivain, un écrivain d’une réelle sensibilité. Les dix-huit nouvelles qui composent ce recueil traduisent toutes un même intérêt pour les désirs dérisoires sous la disparate des situations et des personnages. Bien peu, du reste, sont vraiment des nouvelles. Le terme ne semble guère s’appliquer qu’à une ou deux. Bien plutôt sont-ce des tranches de vie. La plupart de ces textes, certains très courts, se déroulent dans l’Amérique profonde. Snack-bar et mobil home, grand-route et bungalow, ferme et motel modestes sont les décors. Ici on prend en marche le train-train quotidien.
Un geste, une parole, un regard révèlent l’affleurement de ces sentiments dont la routine ne favorise plus l’éclosion. Shepard décèle les imperceptibles fissures qui lézardent les assises d’une existence et la brèche soudaine par où les émotions déstabilisent l’instable structure. Ébranlée, secouée, la vie reprendra néanmoins son cours à la limite de l’absurde, à la lisière de l’aberration. À mesure que son talent naturel a mûri avec les années, la tendance de Shepard à s’exprimer plus subtilement s’est affirmée et affinée. Sa maîtrise dans l’art de poser un décor ou de communiquer une atmosphère en peu de mots est devenue assez remarquable. Comme déjà dans le précédent recueil, Balades au paradis, jamais le trait n’est ici appuyé.
Allusif, suggestif, Shepard dévoile l’équivoque, effleure et frôle silences et non-dits. Cette manière qu’il a d’approcher le trouble qui vrille d’un coup le cœur ou la conscience des hommes se fait sans heurt ni bruit. De ces textes monte, entêtante, une petite musique toute de monotonie, cette forme que prend la mélancolie pour ne pas blesser.
À mi-chemin de Sam Shepard - Traduit de l’américain par Bernard Cohen, 10/18, 180 pages, 6,40 €
Poches Compagnies silencieuses
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Anthony Dufraisse
Des livres
Compagnies silencieuses
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.