On a un peu oublié Violette Leduc (1907-1972) aujourd’hui, cette orfèvre des mots qui fut l’amie de Simone de Beauvoir. Sa prose est constamment portée par des images inattendues qui transfigurent la réalité, lui donnent une matérialité insolite. Je hais les dormeurs, court texte qui appartient à un récit intitulé Ravages (largement autobiographique, comme la majeure partie de l’œuvre), a d’abord été publié de façon un peu différente dans la revue L’arbalète en 1948. C’est cette version que proposent les Éditions du chemin de fer. Il s’agit du monologue d’une femme qui s’insurge contre l’indifférence mortelle de son amant endormi : « Je hais les dormeurs. Je me penche sur eux avec mes mauvaises intentions. Leur soumission m’exaspère. Je hais leur sérénité inconsciente, leur fausse anesthésie, leur visage d’aveugle studieux, leur saoulerie raisonnable, leur application d’incapable. » Parfois, la révolte cède le pas à une tendresse, une douceur maternelles dont on imagine aisément les réactions scandalisées qu’elles ont dû susciter en leur temps : « Tu ne sauras jamais, dormeur disparu, avec quelle rapidité ma main innocente a répondu à l’innocence de ton sexe amoindri. (…) Je suis la gardienne du sexe déchu d’un homme qui dort. Je ne le reçois plus. (…) Ma main le protège et c’est le seul rôle de mère qui m’aille. »
Le texte est joliment enluminé par les aquarelles de Béatrice Cussol : les fragments qui figurent en regard de la page écrite font surgir des scènes érotiques dont on ne sait pas si elles y figurent réellement ou si c’est le lecteur qui les a rêvées. Enluminures, illuminations : les fulgurances poétiques de Violette Leduc font quelquefois songer à Rimbaud. Qui, ici et là, se détournerait de « la vraie hauteur du ciel » et porterait le regard attendri d’un Jean Genet sur « un bouton de coquelicot. »
Je hais les dormeurs de Violette Leduc
Éditions du chemin de fer, 62 pages, 15 €
Histoire littéraire Tombeau du dormeur
mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81
| par
Jean Laurenti
Un livre
Tombeau du dormeur
Par
Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°81
, mars 2007.