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Intemporels Pièces à conviction

juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84 | par Didier Garcia

Labyrinthique, tentaculaire, et pour tout dire joycien : un roman inclassable de l’écrivain américain Gilbert Sorrentino (1929-2006).

Salmigondis

Les premières pages ressemblent à celles d’un roman policier (et d’ailleurs c’en est un : Guinea Red, attribué à un certain Antony Lamont, romancier d’avant-garde) : une maison isolée, et le cadavre encore chaud de Ned Baumont ; à ses côtés, son associé en affaires (éditoriales), Martin Halpin, qui est également le narrateur du roman. Détail troublant : Halpin a beau fouiller sa mémoire, il ne sait pas, ou ne sait plus, si c’est lui qui l’a assassiné. Et côté pistes, c’est plutôt maigre : les deux hommes en pinçaient pour la même femme, Daisy Buchanan. On s’attend donc à ce que quelqu’un mène l’enquête (Halpin a d’ailleurs alerté la police), mais ce chapitre à peine bouclé, le livre part dans une direction inattendue, s’ouvrant soudain au carnet de notes de l’auteur (Lamont), puis à des extraits de ses autres livres, quelques lettres d’amour, avant de revenir au fil d’une histoire encore en construction.
Autant le dire d’emblée, dans Salmigondis (publié aux États-Unis en 1979 sous le titre de Mulligan stew), Gilbert Sorrentino n’épargnera aucune peine à son lecteur, et sans doute pense-t-il comme Lamont « qu’un écrivain a parfois le droit d’être obscur ». Les personnages vont s’en donner à cœur joie pour alourdir la note, intervenant sans cesse pour commenter puis railler le travail laborieux de l’écrivain, prenant rapidement la narration à leur compte, et donnant bientôt en pâture au lecteur la liste intégrale des livres qu’ils ont découverts dans le cabinet de travail où, dans le premier chapitre, gisait encore Ned Baumont (une liste courant sur près de quinze pages, avec quelques titres improbables comme ce Comment comprendre les sourds du polygraphe James Joyce, ou le grotesque C’est dans le sac de Louis Vuitton).
Il suffit donc d’une cinquantaine de pages pour perdre, presque définitivement, le cours du récit. Un égarement que les chapitres suivants contribuent à accentuer. Chaque retour à l’intrigue initiale est l’occasion de nouvelles digressions. Au chapitre huit par exemple, après les quelques pages consacrées au meurtre de Baumont, on passe successivement d’un album de l’auteur (conversation incohérente) à une lettre de Lamont à un ami, puis à une autre lettre d’un certain Joseph Bashary, à des notes de l’auteur, des pages du journal du narrateur, une lettre de Lamont à sa sœur Sheila, puis de nouvelles notes, et un extrait d’un roman de Lamont… Pour six petites pages d’intrigue, dix-huit pages de documents annexes ! Lamont commence d’ailleurs à craindre que ses personnages n’en prennent un peu trop à leur aise avec l’intrigue et que son roman ne devienne réellement un « poème fragmenté » ce n’est pas le lecteur qui lui dira le contraire.
Comme si cela ne suffisait pas, comme s’il était besoin de corser la sauce, Gilbert Sorrentino reçoit ici le soutien inattendu de l’éditeur : mise en page pénible (façon machine à écrire), corps minuscule, impression d’une pâleur excessive…, tout semble avoir été mis en œuvre pour ralentir la lecture et décourager les meilleures intentions.
Salmigondis est un gigantesque puzzle. Un patchwork littéraire. On y trouve d’ailleurs de tout, y compris des pièces rapportées : des scènes délicieusement roses, un recueil de poèmes (La Sueur de l’amour, où transpire la plus mauvaise poésie), le texte intégral d’une pièce de théâtre, dans laquelle James Joyce, toujours lui, joue le rôle d’un employé d’épicerie.
On peut bien sûr trouver cela outré qui souffrira de voir Lamont reprendre et transformer son premier chapitre après trois cents pages ? On peut même se demander pourquoi Sorrentino n’a pas tenu à expurger ce roman qui paraît souvent tirer à la ligne. Seulement voilà : comment un écrivain de la trempe de Sorrentino, adepte de la métafiction, aurait pu se contenter de la mesure quand il aspirait à faire œuvre littéraire, autrement dit à mettre en procès la littérature dans son ensemble ? Au lecteur donc tous ses excès, les passages qui se répètent, les pages hypnotisantes écrites en ancien français, les listes interminables, comme celle sur laquelle se clôt le livre, et qui présente les cadeaux que certains romanciers auraient offerts à leurs personnages, pour les remercier de leurs bons et loyaux services.
Au final, on tient donc ce qu’Umberto Eco nomme une « œuvre ouverte », c’est-à-dire un texte qui se prête à une multiplicité de lectures (il va de soi qu’une seule visite ne saurait en venir à bout) : s’agissait-il pour Sorrentino de fustiger l’univers éditorial, d’épingler l’incurie des critiques, capables de porter au pinacle l’auteur d’un vulgaire roman pornographique et de vouer aux gémonies un courageux romancier d’avant-garde ? Faut-il tenir ce volume pour la parodie décapante d’un roman moderne ? Ou convient-il d’y lire le travail d’un écrivain désireux de poursuivre les investigations d’un Sterne, d’un Joyce ou d’un Calvino, tout en égratignant des écrivains installés comme Nabokov ? Après tout peu importe : Salmingondis est une œuvre limite, de celles qui résistent au lecteur, et qui poussent l’art romanesque dans ses ultimes retranchements.

Salmigondis
Gilbert Sorrentino
Traduit de l’anglais
par Bernard Hœpffner, avec le concours de
Catherine Goffaux
Cent pages
512 pages, 30

Pièces à conviction Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°84 , juin 2007.
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