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Zoom L’art balistique

novembre 2007 | Le Matricule des Anges n°88 | par Gilles Magniont

Cherchant les nouvelles armes de la sédition, Éric Hazan signe un texte hybride et galvanisant, d’un classicisme tout révolutionnaire.

Changement de propriétaire

C’est un peu en rechignant qu’on aborde ce Changement de propriétaire, sous-titré « La guerre civile continue ». La bibliographie d’Hazan s’est parfois élargie sans convaincre, comme si la puissance de percussion des essais qui l’ont fait connaître - L’Invention de Paris et surtout Chroniques de la guerre civile en 2004 - s’émoussait au fil de « notes » ou d’ « entretiens » plus convenus, dans le fond comme la forme ; on craint que de nouveaux prolongements viennent diluer l’encre des premières Chroniques, impeccables éclats de la lutte des classes et de ses dénégations. Soupçon qui s’accroît au vu de la quatrième de couverture, puis de l’entrée en matière : insérer quelques doctes entretiens (avec Jacques Rancière, Alain Badiou, Daniel Bensaïd), commencer bille en tête par évoquer Rousseau et son corps social, c’est certes saisir l’actualité au jour d’une profondeur historique ou conceptuelle, mais c’est aussi asseoir sa propre parole sous un coussin d’autorités.
Et puis : l’intérêt renaît au fil des phrases, en premier lieu par la grâce d’une écriture très adroite, qui sait sauter prestement d’un micro-genre à l’autre - la maxime quand il s’agit de relativiser les « trahisons » socialistes (« Convenons (…) que dans un parti où les dirigeants ont pour but premier d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir, les revirements sont chose normale dans les périodes où cette accession semble lointaine et même problématique »), le portrait tendance Cardinal de Retz lorsqu’est décrite l’ascension de Bernard Kouchner « au cœur même de l’oligarchie médiatico-politique française, où il apportera sans doute une dose de pittoresque », les choses vues pour dresser le tableau saisissant de l’apartheid « tout naturel » qui règne aux abords de la gare du Nord… Une variété qu’unit une tonalité également tendue, tirant ses effets de la retenue, cinglant calmement. « 11 juillet. Un chercheur à l’Ecole d’économie de Paris, Camille Landais, a étudié l’évolution des revenus en France de 1998 à 2005 (Le Monde, 11 juillet). Pour 90% des foyers les moins riches, l’augmentation « n’est même pas supérieure à 5% ». En revanche, « au sein des 1% les plus riches, les revenus déclarés ont augmenté de 19% ; au sein des 0,1% les plus riches, ils ont augmenté de 32%, et au sein des 0,01% les plus riches, de près de 43% ». Dans le même numéro, une page est consacrée au portrait de Bernard Arnault. « Il faut l’avouer, écrit la journaliste, le milliardaire fait un peu peur. » Lui-même n’a pas du tout l’air d’avoir peur. Dans les années 1870, les fermiers généraux n’avaient pas peur non plus » : Hazan maîtrise parfaitement l’art de la pointe - ou du couperet.
Ce n’est pas là qu’exercice de style : si la prose ménage ici ses airs de menace, c’est au diapason du réel. Non pas celui d’une élection qui ne change pas tant la donne économique ou pénale (« changement de propriétaire », et les murs demeurent), mais celui d’une intensification généralisée des affrontements, depuis les brigades de police qui arpentent le métro jusqu’aux dispositifs de sécurisation du G8, en passant par un décor d’émeute place de la Bastille ou une manifestation euphorique à Hambourg : « On a pu apprécier le retour balistique du cocktail Molotov et l’alternance maritime des charges et contre-charges »… L’image, gourmande, distingue cet auteur de nombre de ses confrères, et de certaine aristocratie radicale : son bien propre n’est pas de penser une nouvelle théorie filandreuse de l’extrême gauche, mais plutôt d’exciter raisonnablement le lecteur aux lendemains qui chantent et qui cognent. C’est en ce sens qu’on lira l’épilogue : si le calendrier des chroniques s’était très logiquement ouvert au dimanche 6 mai 2007, jour du scrutin présidentiel, il se clôt en… 2017, pour l’interview d’un universitaire américain. La première question - « Il y a dix ans, la France choisissait Nicolas Sarkozy comme président de la République (…). A la lumière de ce qui s’est passé depuis, peut-on considérer qu’il s’agissait réellement d’une rupture ? » - va dès lors lancer une fiction rétrospective menant à l’ « insurrection de 2011 ». Laquelle, à la page 163, s’avère follement vraisemblable : Hazan mêle l’écheveau des implications avérées (déboires d’Arnaud Lagardère, démantèlement du parti socialiste, émergence du sabotage, pratiques claniques, déclin de la presse, discrédit des syndicats…) et anticipées (gazage de « la petite Khadidja » dans les couloirs du métro Barbès, grève monstre des cheminots, nomination de Brice Hortefeux à l’Intérieur…), de telle sorte qu’on est mené comme par la main à une explosion vers laquelle tout le livre sait converger. On en ressort franchement impressionné, et joyeux.

Changement
de propriétaire

Éric Hazan
Seuil
178 pages, 15

L’art balistique Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°88 , novembre 2007.
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