La couverture est malencontreusement choisie : cette histoire simple et cruelle ne se déroule pas dans le New York d’Edward Hopper, celui des années 20, des secrétaires esseulées et des mélancoliques ouvreuses - mais dans celui de 1900 et dans cette société que peignent alors, chacun d’un côté de l’Atlantique, Proust et James. Le héros est un avocat, autrefois aimé d’une femme écrivain que la gloire désormais accompagne : elle est morte. En possession de ses lettres, il va commettre l’indiscrétion de les vendre à un éditeur afin de pouvoir épouser la jeune fille de bonne famille qu’une pauvreté - relative ! - lui interdirait à jamais. Le couple pourrait désormais partager un bonheur bon chic bon genre : thés au crépuscule, promenades dominicales sur les yachts d’amis, mondanités mesurées. Mais le remords, la crainte du mépris, la naissance de la jalousie, viennent tourmenter le pathétique Glennard… C’est au microscope et au scalpel que Wharton observe les intermittences du cœur et de l’esprit, et c’est avec une plume acide qu’elle dresse le compte-rendu de cette expérience de l’humiliation - que chacun de nous, dans des situations variables, a pu vivre. La traduction méticuleuse (mais l’on peut regretter ça et là de gênantes lourdeurs, un mystérieux « piquant délibérément un fard profond » ou un burlesque « leurs regards affluèrent ensemble ») nous permet de savourer la finesse, qui frôle parfois la préciosité (comme chez Proust), de l’écriture de Wharton. Les portraits, en particulier, offrent souvent d’imparables formules : « On se disait que si elle avait été plus jolie, elle aurait eu des émotions au lieu d’idées » ou « Ses mouvements étaient si économes qu’on aurait pu dire qu’ils mettaient ses mots en italiques. » La plaisante satire sociale cède la place, parfois, à une ironie plus cruelle : la pitié côtoie dangereusement le mépris. Wharton s’aventure également avec lucidité sur les chemins de l’inconscient : notre héros devra affronter les « subtilités de l’introspection », les actes et paroles manqués, le
LA PIERRE D’ACHOPPEMENT
d’EDITH WHARTON
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Naugrette
Circé poche, 152 pages, 7 €
Poches La pierre d’achoppement
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Thierry Cecille
Un livre
La pierre d’achoppement
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.