Entre un soir, un jour entier et une matinée, entre la propriété des Kaltenmuller, un Institut de surveillance, une station service Avia et un relais routier, Cutter dissémine les indices d’une implacable intrigue. Une scène, burlesque et cruelle, en donne le la : dans les recoins d’un cellier, Marcel Pithiviers, secondé par son neveu Lucky Wotruba, castre Oswald, le chat de Marius Kaltenmuller, au moyen d’un gros cutter, et asphyxie cinq chatons. Le lendemain, Adélaïde Kaltenmuller, la « plus belle femme du département », ordonne à Lucky de secourir son mari enfermé dans un garage enfumé. Assis au volant de sa Ford Taunus, Marius, plâtrier-peintre, grand consommateur de neuroleptiques et d’antidépresseurs, a les paupières closes. Orphelin de père, comptant parmi les jeunes gens « classés récalcitrants dans les centres de rééducation », ceux qui défigurent leurs copains avec un cutter, Lucky doit se rendre tous les mercredis chez les Kaltenmuller. Lili, sa sœur âgée de 16 ans qui rêve de grand départ en camion, tous les mardis. À l’instigation de leur oncle, « homme à tout faire » de Marius et d’Adélaïde, ils y effectuent, un rien soumis, l’un, un stage de jardinage, l’autre, des tâches ménagères.
Dans Cutter, une angoisse sourd, un silence pèse qui, malgré quelques tessons de dialogue et autres objets tranchants (lame de rasoir, sécateur, scie et serpette), tait l’essentiel. Maître-chanteur et femme-maîtresse auront-ils raison de celui qu’ils considèrent un peu trop hardiment comme un simple d’esprit malléable ? Un inspecteur de police, ex-pilote de rallye conduisant une « R8 Gordini surbaissée », n’est, en dépit du témoignage de Lucky, franchement pas décidé à croire à la thèse du suicide. La disparition de la montre-chronomètre de Marius, un entonnoir exhalant des odeurs de whisky, des billets pour Capri, sont, entre autres, autant d’éléments susceptibles de révéler les mobiles d’un crime…
Si, dans Pudeur de la lecture (Les Solitaires Intempestifs, 2003), Yves Ravey avoue qu’écrire consiste à infliger une « punition » à ses lecteurs, force est de constater, depuis la publication du Drap (Éd. de Minuit, 2003), que celle-ci participe de l’entaille, de l’incision. Objet métonymique en ce qu’il renvoie à l’acte de la castration, de la défiguration, le cutter ne serait-il pas aussi une métaphore possible du livre ; un livre qui, par la blessure qu’il inflige, générerait du sens ?
Par sa mise en page, sa syntaxe lapidaire, sa dimension ouvertement suggestive, l’incipit de Cutter surprend. Différer la révélation de l’identité du narrateur, privilégier certains détails, est-ce une manière de rompre le pacte de lecture ?
Nous savons que nous avons affaire à une famille - la sœur, la mère, l’oncle -, mais tout n’est pas révélé d’emblée. Coexistent des informations. Quelque chose se joue entre le foyer familial, l’Institut et la maison des Kaltenmuller. La progression des personnages s’installe dans cette simplicité...
Entretiens L’art de l’incision
novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108
| par
Jérôme Goude
Insidieuse enquête policière et sanglant récit d’initiation, Cutter s’insinue dans le vif de la métaphore littéraire.
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