La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poches Réalité ouvrière

mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111 | par Thierry Guichard

Avec Atelier 62, Martine Sonnet dresse le portrait de son père. Et ressuscite toute une mémoire effacée par l’Histoire.

Si la littérature pénètre les terres délaissées par les sciences, si elle permet d’éclairer l’indicible et l’inouï (au sens premier), alors Atelier 62 est un grand livre de littérature. Martine Sonnet y déploie une quête à la fois intime et collective, celle d’un père normand devenu ouvrier chez Renault et celle d’une réalité ouvrière aujourd’hui oubliée. Pour peindre le portrait de son père, l’historienne use de registres multiples (les archives, es souvenirs, les photos, les essais sociologiques…) afin de faire émerger la matérialité de toute une vie. C’est peu dire que ce livre-là développe une puissance d’évocation peu commune. Découpé en chapitres thématiques (« Exode rural », « Argent », « Vestiaires », etc.) comme en une table de mécanicien où se déposent les pièces d’un moteur, Atelier 62 restitue presque physiquement la vie d’Amand, celle de sa famille, celle de la classe ouvrière d’après-guerre. Si la documentation densifie le récit, l’écriture, elle irrigue magistralement le corps qu’elle bâtit : écriture nerveuse aux phrases nominales, écriture brute pour dire le métier de charron-forgeron-tonnelier, écriture bordée de silences parfois, poétique, tendre dans les évocations rurales du Normand : « j’en ajouterai tant que j’en trouverai des mots pour dire la diversité des hommes. Des mots qui collaient aux outils dans leurs mains et aux gestes accomplis. » Ce sont aussi des mots de combats qu’elle retrouve, traces des affrontements entre le syndicat et les patrons pour de meilleures conditions de travail dans l’atelier 62, le plus rude de Billancourt, d’où les ouvriers sortaient définitivement plus souvent pour le cimetière que pour une retraite inaccessible à ces hommes défaits par un travail infernal.
Pas des fragiles pourtant ! Du beau bétail en vérité et l’expression n’est pas toujours métaphorique : « La visite médicale d’embauche présente une double utilité. Utilité individuelle qui protège l’ouvrier d’un poste qu’il ne peut pas physiologiquement occuper sans danger pour son organisme. (Il est quelquefois nécessaire de le protéger malgré lui.) Utilité collective qui permet de mettre chacun à la place qu’il est capable d’occuper, grâce à ses aptitudes, tant physiologiques que psychologiques. » À la sortie d’une vie de travail, le bilan de santé n’est pas le même : « sur les quinze dernières années quand un seul forgeron avait réussi l’exploit de partir en retraite à 65 ans, 57 types étaient morts à des âges compris entre 41 et 61 ans. » À lire ce que Martine Sonnet nous raconte du travail de ces hommes-là, on comprend vite pourquoi. On a même parfois du mal à penser que ce dont il est question ici n’est que le récit précis de la vie des ouvriers il y a seulement cinquante ans.
Loin d’alourdir la lecture, les sources que cite l’auteur (sociologues, historiens, etc.) trouvent leur contrepoint dans les portraits sensibles du père : son hospitalité, « le verre de cidre comme le cœur sur la main », lui tient lieu de noblesse, comme, à l’intérieur de Billancourt (38000 travailleurs, autant que d’habitants à Chartres rappelle Martine Sonnet) la dureté de l’atelier 62 en fait le « plus huppé » des ateliers. Mais il n’est pas tant question de célébrer ces hommes-là que de dire leur réalité : cela suffit à en faire des figures héroïques dont l’héroïsme social rejoint l’héroïsme sentimental qu’un enfant attribue à son père. Dans la multitude des traces suivies, le livre ressuscite toute une époque, celle qui nous a conduits à être qui nous sommes, oublieux d’une langue que le management, le marketing, la publicité ont limé jusqu’à la transparence. Atelier 62 est un grand livre aussi pour cela, parce qu’il nous redonne un accès au monde et à la langue qui le nomme. Indispensable en somme.

Atelier 62 de Martine Sonnet
Le Temps qu’il fait, « Corps neuf »
192 pages, 12

Réalité ouvrière Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°111 , mars 2010.
LMDA papier n°111
6,50 
LMDA PDF n°111
4,00