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Histoire littéraire Images de Bohême

mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111 | par Éric Dussert

Maître-graveur tchèque, Josef Vachal était aussi un esprit fécond. Son œuvre incomparable paraît peu à peu en France.

Roman sanglant

C’est sur le modèle de l’Orbis Sensualium Pictus du pédagogue humaniste tchèque Comenius (Jan Amos Komensky, 1592-1670), qui imagina la première méthode d’apprentissage des langues par l’image, que Josef Vachal, polytalentueux natif de la forêt de Bohême, conçut son propre Orbis Pictus en 1932. Cet album, offert enfin aux regards des amateurs français de livres curieux, vaut qu’on s’intéresse de près à l’œuvre du curieux artiste que fut Vachal.
Dans son texte conclusif intitulé « Postface et colophon », Josef Vachal éclaire son projet : « Par ce livre, j’ai voulu réaliser le vœu de quelques amis d’avoir dans leur bibliothèque une suite au Monde en Images, le fameux livre de Jan Amos Komensky, d’heureuse mémoire : des images en son temps inconnues qui montreraient aux contemporains de nouvelles réalités. (…) Afin que l’image finale du monde soit parfaite - ce dont le spectateur est le meilleur juge -, je n’ai lésiné ni sur ma peine, ni sur les sacrifices, ni sur les inconfortables expéditions de par le monde pour enquêter sur les nouvelles réalités. / Tout ce qui est contenu dans ce livre a été écrit, composé (avec des caractères de sa fabrication), dessiné, gravé sur bois, imprimé (sur ses propres presses) en vingt-cinq exemplaires et édité à ses dépens en 1932 par Josef Vachal, graveur sur bois, Vrsovice 648. »
On a là quelques-uns des éléments qui caractérisent Vachal. Son travail solitaire d’abord (neveu d’un peintre notoire, il n’a que peu participé à la vie artistique tchèque), son art diffusé avec parcimonie et par ses propres moyens (il produisait lui-même ses livres, jusqu’aux polices de caractère). Ce que le texte ne dit pas, c’est à quel point cet album splendide d’images atypiques contient d’humour, de malice et de sagesse - d’où la comparaison qui fut établie avec Alfred Jarry.
Aux sujets traités par Comenius en 1654, Josef Vachal ajouta donc vignettes et textes traitant, d’« Abstinence » à « Vin », du « Cocher d’automobile », de « l’asiles de fous » ou de « la fabrication de films », du « bar », du « bibliophile », du « comédien », de « l’esquimau » (!), de « l’hôpital », etc. À titre d’exemple, voici « le littérateur » (le chiffre renvoie à son équivalent placé dans une image expressionniste imprimée au-dessus du texte) : « Le Littérateur (1), une fois qu’il a trouvé un sujet (2), entreprend de le gonfler (3) en soufflant tout ce qu’il peut (4) ; puis, avec ses pieds, il dévide une trame, aussi extensible que possible (5), affectant une main à l’écriture (6) et l’autre à la perception d’avances (7). Il lui arrive de choisir des idées qu’il insère au cœur du motif et il farcit tellement l’ensemble d’histoires que les chapitres se détachent d’eux-mêmes (9). / Et c’est ainsi / que l’on fabrique / des romans / des drames / des essais. / Une fois prêtes les écrivasseries / des maisons d’édition amies / les publient ».
Sacarstique mais bon enfant, l’Orbis pictus de Josef Vachal est un objet de contemplation et de méditation « médiéval et moderne », selon son traducteur, une œuvre d’art inclassable digne d’être appréciée par les amateurs de livres singuliers, et par les rieurs qui ne rateront pas la page consacrée aux « suicidés » : « Les méthodes les plus courantes consistent à mettre sa tête dans un nœud coulant (1), se tirer une balle de pistolet (3), sauter dans l’eau (4) et s’y noyer (5), respirer du gaz (7), lire les poètes modernes (2), et se passionner pour le spiritisme ou la nouvelle peinture (6) ».
Enrichi d’un essai et d’une biographie établis par Etienne Cornevin, l’éditeur-traducteur-présentateur de l’album, l’Orbis Pictus trouvera un utile complément dans le Roman sanglant. Cet autre chef-d’œuvre du Tchèque fut publié en octobre 1924 à dix-sept exemplaires. Et si les images n’y interviennent qu’à titre d’illustration, c’est que le texte se déploie là avec une rare pétulance. Composé en deux parties, le Roman sanglant est tout entier consacré à la littérature populaire tchèque dont Josef Vachal était un parfait connaisseur. Non content d’en collectionner tous les avatars, des feuillets de chansons populaires aux feuilletons en fascicules, il entreprenait là de redorer le blason des pulps nationaux dont le souvenir risquait de se perdre. Volume des plus enthousiasmant, le Roman sanglant débute par un essai parfaitement renseigné sur les « rebuts » de la littérature tchèque, auquel succède une impressionnante « Tentative de prototype de roman sanglant idéal ». C’est l’apothéose d’un genre : le sang coule à flot comme dans le théâtre du Grand-Guignol, une incroyable galerie de personnages vit de folles et criminelles aventures tandis que son créateur use de toutes les cordes du genre, et va, homme d’esprit, jusqu’à en singer les plus manifestes défauts.
Ces deux ouvrages méritent à l’évidence de figurer au panthéon des livres extraordinaires. Quant à Josef Vachal, il doit désormais apparaître parmi ses pairs, les indépendants sans contrainte, les imaginatifs de haute puissance. Mesdames et messieurs les traducteurs savent ce qu’il leur reste à faire.

Josef Vachal Orbis Pictus - Traduit du tchèque par Etienne Cornevin, Éd. du Globocéphalophore pictentêté (84, rue Montaigne, 36000 Châteauroux), 100 p., 36,70 , et Roman sanglant, traduit du tchèque par Myriam Prongué, postface de Xavier Galmiche, Éd. Engouletemps (Woippy), 325 p., 21

Images de Bohême Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°111 , mars 2010.
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