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Essais À l’air libre

juin 2011 | Le Matricule des Anges n°124 | par Thierry Cecille

Incisifs et roboratifs, les textes d’Annie Le Brun dénoncent ce qui nous menace : l’asservissement des sens et de l’imaginaire.

Ailleurs et autrement

En ces temps de consensus, lorsque, dans le domaine intellectuel et artistique, la rigueur cède le pas à la fadeur et l’exigence au copinage, le polémiste prend des risques. On prendra pour de l’infatuation le mépris dont il s’arme, on verra de la jalousie et du règlement de comptes dans chacune de ses attaques, la vigueur semblera de l’acrimonie vengeresse. C’est à de tels soupçons que l’on est près de céder, lorsqu’on lit l’avant-propos de ce recueil de textes d’Annie Le Brun. Elle y précise qu’elle rassemble ici vingt « instantanés » écrits pour La Quinzaine littéraire à l’instigation de Maurice Nadeau et dix « interventions » (préfaces, conférences…) sur des sujets proches – le tout couvrant la première décennie, qui vient de s’achever, de ce siècle neuf. Le ton y est impérieux (quelque chose de l’aplomb de Breton…) : elle s’y présente comme un « guetteur », « réfractaire au programme de formatage des êtres qui progresse chaque jour un peu plus », et semble prête, Don Quichotte féminin armée d’une simple plume en guise de lance, à pourfendre tous les ennemis, surgis de tous les horizons, de Badiou à Onfray en passant par Sollers…
Par bonheur, on se rassure vite : ce n’est pas là simple esbroufe et le défi est tenu, de bout en bout. Il faut dire (elle le rappelle incidemment) qu’Annie Le Brun n’est pas née de la dernière pluie (acide) et qu’elle occupait déjà le terrain (de la bataille) dès les années 70. Féministe précocement attentive aux dérives et excès du féminisme, préfaçant les œuvres complètes de Sade pour Pauvert, spécialiste de Jarry et Roussel, auteurs aujourd’hui encore aussi mal lus qu’hier, aussi peu reconnus, c’est sans nul doute en pleine connaissance de cause qu’elle a écrit chacun de ces textes. La violence qui parfois les caractérise répond à l’urgence de la situation – tant le danger est réel, pressant. Il s’agit en effet de rien moins que de notre asservissement, il y va des derniers arpents de notre liberté : qu’advient-il aujourd’hui de notre langage, de notre corps, de notre sensibilité, de notre imagination ? Le constat s’impose – et la nécessité de lutte là contre : nous vivons dans un « trop de réalité » qui nous emprisonne et nous ampute. La marchandisation accélérée qu’exige la forme actuelle du système capitaliste attente de manière permanente et toujours plus pénétrante à ce qui devrait nous constituer : notre sexualité, notre rapport à autrui ou aux œuvres d’art, notre aptitude au rêve. Proche en cela d’autres prophètes de malheur, d’autres veilleurs pensant « ailleurs et autrement » (songeons, parmi quelques autres, à Pasolini ou à Christopher Lasch), elle dénonce aussi bien « l’insignifiance en milieu vaginal » de quelques auteures récemment encensées pour leur libertinage mollasson que les différentes entreprises de récupération du surréalisme, tentant de dissimuler l’énergie révolutionnaire qui l’anima.
Elle s’attache aussi à rendre hommage à ceux – être de chair et d’os ou personnages imaginaires – qui représentent d’autres voix – et voies – s’opposant au règne du conformisme nihiliste. Elle peut ainsi faire l’éloge des écrivains (Roussel, mais aussi Louÿs ou Grégoire Bouillier dans son Rapport sur moi) qui parviennent à « sauver l’inaccaparé, condition nécessaire et suffisante pour ne pas être moderne et soumis » – et s’attarder sur les figures de Don Juan et de la Juliette de Sade, seul alter ego « à la hauteur » du héros de Molière. Elle retrace également le parcours d’un Jaime Semprun, dénonçant la novlangue qui empoisse et empoisonne le langage, défigurant ainsi notre rapport à la réalité. C’est enfin à la « fulgurance poétique, redevable comme le diamant aux immenses pressions du temps » qu’elle s’en remet, et à l’espoir, tant que la poésie survit, que résiste avec elle « la profonde implication politique sinon morale de l’implication sensible ».

Thierry Cecille

Ailleurs et autrement
Annie Le Brun
Gallimard, « Arcades », 286 pages, 15,90

À l’air libre Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°124 , juin 2011.
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