Au milieu de la cohue, à peine arrivé à Sir, ville orgueilleuse regorgeant de rues, de boutiques, de temples et d’habitants, Ordjéneb, montagnard originaire de Jaïneh, bête fruste diront certains, commet un acte sacrilège en salissant Anouher, le nom du Père des lois. Après avoir reçu quelques châtaignes, il accepte l’invitation de Djili, jeune veuve qui, la nuit écoulée, lui conseille de se rendre chez Asral, maître scribe ayant pour tâche de produire une nouvelle copie des saintes Écritures. Ce dernier, absorbé par les Laudes, les Hymnes et le Testament d’Anouher, propose à Ordjéneb une place de garde. Ignorant tout des mœurs siriotes, Ordjéneb va, grâce au dialecte rudimentaire des montagnards, et à son éclairante simplicité, infléchir le travail d’Asral qui, soucieux d’exhumer le sens premier des paroles d’Anouher, élaborera non sans risquer l’opprobre une « copie parallèle » des textes du fondateur mythique de Sir.
En imaginant une cité antique, Sir, avec ses nombreuses portes, son lavoir, ses confréries de potiers, de tanneurs et de tisserands, sa bibliothèque palatine, son collège des juges, puis sa rivale abhorrée, Hénab, Diane Meur, traductrice et romancière née près de Bruxelles en 1970, façonne un conte philosophico-historique dont le souffle épique et la réflexivité ravissent.
Si vos précédents romans renferment des références ponctuelles à l’Orient – évocation de l’époque des Croisades, du poète Omar Khayyâm ou, entre autres, d’un exil vers l’Empire ottoman –, Les Villes de la plaine en déplie complètement la carte imaginaire. Qu’est-ce qui explique cette tentation fluctuante ?
La tentation de l’Orient est en effet prise ici à bras-le-corps pour la première fois. Jusque-là, c’était une sorte de constellation qui papillonnait dans mon esprit. Je n’y voyais que des coïncidences, sans avoir conscience qu’il y avait là quelque chose d’unique qui me parlait. Avec une exception, mon intérêt pour Istanbul qui remonte aux années où je traduisais le philologue allemand Erich Auerbach. Par ailleurs, quand, en pleine écriture des Vivants et les ombres, je visitais la Galicie, je me suis retrouvée un matin d’août au marché de Drohobycz, petite ville que je voulais voir à cause des Boutiques de cannelle de Schulz. Qu’y avait-il dans ce marché qui me dépaysait tant ? Je l’ignore, mais je me souviens d’avoir pensé – ce qui fera bondir un Ukrainien : ici commence l’Orient… Était-ce déjà l’amorce du livre à venir ? En somme, j’ai eu très vite l’intuition que ce roman ne pouvait avoir pour cadre qu’un Orient subjectif, médiat, au-delà d’une authenticité discutable. Je voulais atteindre un Orient passé au filtre de certaines œuvres : Nathan le Sage, Salammbô, Voyage babylonien… N’ayant jamais été en Orient, j’ignorais alors d’où les paysages de cette géographie intérieure me venaient avec une telle précision. En relisant après-coup L’Usage du monde de Nicolas Bouvier, j’ai retrouvé avec amusement une foule de détails....
Dossier
John Burnside
Le berceau des lois
octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127
| par
Jérôme Goude
À travers le prisme de l’Orient légendaire des Villes de la plaine, Diane Meur explore les fondements et les dérives idéologiques de toute civilisation.
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