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Domaine étranger Le roi de la zapette

avril 2012 | Le Matricule des Anges n°132 | par Guilhem Jambou

L’Espagnol Manuel Vilas montre la télévision telle qu’elle devrait être : une délirante réussite.

On Air TV est monstrueusement authentique. On Air TV diffuse des choses qui ne se sont pas produites ni ne se produiront jamais, mais cela importe peu : la télévision du XXe siècle diffusait aussi des fictions, et ces fictions étaient réelles. » Avec On Air, l’écrivain aragonais Manuel Vilas présente les onze canaux (magazine hebdomadaire, catch, reality shows, ciné X, etc.) d’une multichaîne hyperréaliste et paradoxalement ultra-subjective interrogeant les acteurs et événements qui ont fait le XXe siècle artistico-politique.
Sur le canal 2, « Télé-Purgatoire », Freddie Mercury tente ainsi de séduire le poète espagnol Lorca, malheureusement déjà engagé avec Whitman qui envoie un coup de canne au mythique chanteur moustachu de Queen. Côté réalisateurs, Sergio Leone, exclu du gotha cinématographique (composé de « ce gros enculé de Welles », de « Griffith, le maître du canon, de la renommée et de la grâce », de « ce bigot de Dreyer », etc.), glose ses films et démontre leur supériorité sur les westerns de Ford et de « son Wayne ». Dans une lettre à Fidel Castro, le fantôme du Che, présent lors de la thrombophlébite de Franco, de la chute du mur de Berlin ou encore du dernier concert des Beatles sur le toit des studios Apple, raconte sa participation, toute spectrale, à ces événements (« J’ai servi la vie. Fidel : The revolution is now, my love. »).
Cette esthétique du fragment et de la polyphonie correspond au « mysticisme gonzo » prôné par la chaîne : l’expression fait référence à une pratique journalistique d’immixtion totale du reporter dans son sujet – comprenons donc le plus souvent dans la drogue – afin de déformer la réalité pour mieux la recomposer. Ainsi les textes s’accompagnent-ils fréquemment de photos (Zapatero, Neruda ou encore le père d’un certain Manuel Vilas, personnage apparaissant à plusieurs reprises), comme pour mieux ancrer la fiction dans le réel, ou le sérieux dans le délire. Les différents narrateurs accumulent les références, tantôt développées, tantôt allusives, invitant le lecteur à plonger toujours plus avant dans ce flot jubilatoire et encyclopédique. Les histoires sont faites d’entremêlements, les canaux semblent se contaminer les uns les autres et le retour de personnages, de situations ou de thèmes est permanent. La fierté linguistique, par exemple, est un motif répété : « la langue anglaise induit une immunodéficience cérébrale qui met son locuteur en situation de contracter n’importe quelle infection bactériologique (…) l’espagnol doit sa résistance à la complexité de sa conjugaison (notamment au mode subjonctif) ». De même, la scène de l’exhibition phallique de Johnny Cash (« Regarde ma bite, Mariscal. ») trouve son écho dans la proposition d’Elvis Presley, quelque cent pages plus loin (« Tu veux que je te montre ma bite ? »).
Plus que de désacraliser les grandes figures du XXe siècle ou de dénoncer l’inévitable stupidité grumeleuse de la télévision, Manuel Vilas s’en prend avant tout au réel en réaffirmant, c’est possible, le pouvoir de l’imagination, moribond en ces temps de règne de la téléréalité, des radios trottoirs et des témoignages poignants, authentiques et profondément humains. Ici, c’est l’histoire d’une Seat 850 que l’on suit de Madrid à New York en passant par Tanger. Là, celle de José Luis Valente, champion de la découpe de porc à la scie électrique. Et toujours, l’humour se mêle à la langue, les dialogues au rire, le style étant très souvent d’une platitude absolue, mettant toujours plus en valeur une prose modelée pour le plaisir et la dérision. Expirant, en 2398, Juan Carlos III pourra ainsi prononcer ces royales paroles : « J’aime l’air. L’air nous appartient. C’est notre air. »
On aurait envie d’en demander encore, et c’est seulement parce que l’auteur nous a promis qu’il reviendrait avec les interviews de Jésus et de Lénine qu’on referme le livre sans trop de regrets, un soupçon de larme à l’œil toutefois.

Guilhem Jambou

On Air de Manuel Vilas
Traduit de l’espagnol par Catherine Vasseur
Passage du Nord-Ouest, 275 pages, 18

Le roi de la zapette Par Guilhem Jambou
Le Matricule des Anges n°132 , avril 2012.
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