Mathias Enard, le rêve de Babel
Depuis l’incroyable succès de Zone (Actes Sud, 2008) et ses 40 000 exemplaires vendus (pour un épais roman sans ponctuation, c’est énorme), chaque livre de Mathias Énard fait figure d’événement. Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants qui avait suivi en 2010, ayant obtenu le Goncourt des lycéens et passé la barre des 200 000 exemplaires vendus, on pouvait légitimement se demander si pour rencontrer l’auteur, il faudrait passer sous les fourches caudines d’un agent, les agendas d’une cohorte d’accortes attachées de presse et la fouille palpeuse d’un escadron de gardes du corps. Mais, pour avoir rencontré Mathias Énard sur divers salons et festivals littéraires, on savait le bonhomme très accessible, charmant, prévenant. On l’avait d’ailleurs entendu lire quelques chapitres de son nouvel opus, Rue des voleurs, sous le ciel printanier du festival « Écrivains en bord de mer », cet été à La Baule où par ailleurs était projeté en avant-première À cœur ouvert, le film de Marion Laine tiré du deuxième roman d’Énard, Remonter l’Orénoque. Un film intense, d’une intelligence rare et d’une force émotive à laquelle le cinéma ne nous avait plus habitués. Mais, c’est à Barcelone où il vit depuis quelques années que nous sommes allés rencontrer Mathias Énard, dans le quartier même où s’achève son nouveau roman. À l’instar de son nouveau narrateur, Lakhdar, la vie de notre hôte ressemble à un incessant voyage où les noms des capitales visitées ou un temps habitées dresse la cartographie du Proche-Orient et de l’Europe méditerranéenne, cet espace géographie qui est le véritable personnage de Zone.
Au Liban, « ce fut comme un rêve ou un cauchemar. Les secouristes de la Croix-Rouge qu’on suivait m’ont appris ce qu’était l’engagement ».
Mathias Énard est pourtant né à Niort, cité calme et tranquille qui ne prédestine pas particulièrement à découvrir Beyrouth pendant la guerre, assister au tremblement de terre du Caire, vivre en compagnie de druzes syriens, fréquenter les tribunaux iraniens, ni même étudier l’arabe et le persan. « J’aime beaucoup retourner à Niort, c’est l’endroit où j’ai grandi. Mais je n’y ai pas de racines. Mes racines sont plutôt à Bayonne et Biarritz où habite une bonne partie de ma famille. » Et où le gamin et son jeune frère passeront les vacances quand ce ne sont pas les week-ends. Un aïeul a fondé, face à la cathédrale de Biarritz, une quincaillerie qui prospérera de génération en génération. Du côté paternel, c’est Nice qui sert de berceau familial. La mère de Mathias, orthophoniste a trouvé son premier poste à Niort. Idem pour son père qui lui est éducateur. Ces deux-là se rencontrent et Mathias naît en 1972, son frère quatre ans plus tard. À l’écouter, l’enfance, l’école, la famille : tout roule comme en un fleuve un peu trop tranquille. À l’école, l’élève est bon sans avoir à forcer. « Je ne m’y ennuyais pas vraiment, mais c’était très facile, je n’ai jamais beaucoup bossé. J’ai cependant le sentiment...