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Domaine français Évidences noires

septembre 2012 | Le Matricule des Anges n°136 | par Richard Blin

Derrière le panorama des villes démantelées, J.-Y. Jouannais sonde l’origine guerrière de la littérature. De la ruine comme trompe-l’œil.

C’est ce qui affleure entre raison et folie, ce qui se joue sur la limite entre réalité et fiction qui passionnent Jean-Yves Jouannais. Après avoir interrogé dans Artistes sans œuvres (Hazan, 1997) la démarche d’artistes ayant choisi de ne pas extérioriser leur travail par la délivrance d’un produit, et après s’être intéressé – dans L’Idiotie – aux artistes comme aux figures fictionnelles qui vouèrent leur vie à des quêtes considérées comme vaines ou absurdes – « L’idiotie s’oppose à la prétention, à ce qui s’efforce de faire accroire à la profondeur là où il n’y a que du sérieux » –, il s’attaque aujourd’hui, dans L’Usage des ruines, à un autre type d’œuvres, celles qui résultent de la destruction guerrière et plus particulièrement de la destruction des villes.
À travers une galerie de portraits – celui des vainqueurs, celui des vaincus ou celui de simples témoins –, c’est une autre lecture du monde qu’il nous propose. Il ne s’agit pas, ici, de cerner au cœur des villes détruites et des vies interrompues, le néant qui les hante, mais bien de plonger au cœur de l’obsession à l’œuvre dans chacun des cas : « C’est elle qui mène campagne, impose sa stratégie, creuse ses tranchées d’approche, interdit tout commerce avec l’extérieur, traduit toute initiative intellectuelle en termes de poliorcétique, par quoi on désigne la science des sièges. » La retrouver physiquement, cette obsession, la partager, et ce à partir d’un point de vue permettant de voir le personnage autant du dehors que du dedans.
Mû donc par une inlassable curiosité, porté par le désir constant de remettre en cause les certitudes comme les cadres d’une pensée paresseuse ou trop sûre d’elle-même, Jean-Yves Jouannais avance désarmé à la rencontre de ses personnages et de sa propre fièvre obsidionale. Comme « je est un autre », et parce que la fièvre fait tomber les défenses, il peut mieux percevoir ce qui se cache d’insoupçonné sous ces points de déroute et d’anéantissement que sont les ruines des villes. Ainsi quand Scipion Emilien fait disparaître Carthage au terme de 17 jours d’incendie, c’est en « bâtisseur d’un temps où les différences, les quiproquos babéliens, l’incuriosité et toutes les distances seront abolies ». Quand Naram Sîn brûle la ville d’Ebla, trois millénaires avant notre ère, c’est dix-sept mille tablettes d’argile couvertes d’écriture cunéiforme qu’il sauve, les solidifiant par le feu, préservant ainsi pour la postérité la mémoire du nom d’Ebla et de sa civilisation. C’est la vue des champs de ruines de la ville de Hambourg qui conduira Stig Dagerman à la folie et au suicide. C’est encore Wlodzimierz Bogacki qui, confronté aux désastres éprouvés par les villes et villages de sa Pologne révoltée contre l’occupant russe, invente la destructiologie, « une science à même d’éclairer l’avenir des nations et des êtres par l’interprétation des décombres de guerre ».
Repérant rapports, échos, correspondances, Jean-Yves Jouannais pointe la manière dont le négatif et le positif peuvent être complémentaires ou même coïncider, devine ce qu’une photo de sculpture, prise pendant la bataille de Stalingrad, et montrant une ronde d’enfant dansant autour d’un crocodile menaçant, dit de notre cerveau reptilien, ce cerveau primitif responsable de « la haine, de la peur, de l’hostilité, de l’instinct de survie… ». Il hasarde aussi des hypothèses sur l’essence humoristique oubliée de la guerre, ou médite sur le réel recopié d’après une œuvre d’art. Ce sont, en effet, des Vues de Varsovie peintes par Bernardo Belloto, à la fin du XVIIIe siècle, qui servirent de modèle pour la reconstruction des édifices détruits durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui conduit Jouannais à imaginer les Alliés bombardant Dresde, inspirés par un tableau du même Belloto et représentant les ruines d’une église gothique éventrée lors de la guerre de Sept ans qui ravagea la Saxe.
Mais c’est aussi l’origine guerrière de la littérature qu’on ne cesse de lire en filigrane de tous ces portraits. Qu’on songe à L‘Iliade ou au combat des Horaces et des Curiaces avec lequel s’invente la tragédie. Et Jouannais d’imaginer que Jules César n’aurait décidé de la guerre des Gaules qu’à seule fin d’en faire un livre comme d’autres n’auraient rasé des villes (Magdebourg, Coventry, Hambourg) que pour inventer un mot – « magdebouriser », « coventryser », « hambourgiser » – célébrant l’idée d’une destruction totale.
Dans l’écart absolu qu’est la guerre, ce sont les raisons irrationnelles auxquelles elle peut être liée que traque Jean-Yves Jouannais, ses ressorts secrets, tout ce qui relève en elle d’une forme d’ironie métaphysique. Mais c’est aussi sa propre obsession de la guerre qui se manifeste ici, celle qui l’a poussé à se lancer, depuis 2008, dans une Encyclopédie des guerres, un livre en train de s’écrire en public, sur scène, au fil de conférences-performances.

Richard Blin


L’Usage des ruines
Jean-Yves Jouannais
Verticales, 152 pages, 14,90

Évidences noires Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°136 , septembre 2012.
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