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Histoire littéraire Auteure avant l’heure

avril 2013 | Le Matricule des Anges n°142 | par Gilles Magniont

La Fabrique de l’intime, exceptionnelle anthologie de mémoires et journaux de femmes du 18e siècle : où l’on découvre des filles, des mères, des âmes mélancoliques autant qu’énergiques.

La Fabrique de l’intime

Dans sa présentation, Catriona Seth rappelle qu’au temps des Lumières se multiplièrent les cabinets de lecture (bibliothèques de prêt), que la taille des livres se réduisit (ils pouvaient tenir dans la poche), qu’une littérature vint à être conçue pour le public féminin, que la vulgarisation, que la société mondaine, etc. Mais que les conventions sociales condamnaient encore les femmes au retrait, à la réserve, à la modestie  : elles n’allaient quand même pas raconter leur vie, surtout qu’elles ne pouvaient, au contraire des mâles, se flatter de participer au grand cours des événements. « Malheur à nous quand nous renversons l’ordre de nature » s’exclame Germaine de Staël, l’une des deux seules professionnelles de la littéra-ture (avec sa rivale Félicité de Genlis) parmi les treize femmes dont les écrits forcément privés (pas imprimés de leur vivant, puis d’une circulation très réduite ou complètement inédits) figurent dans cette anthologie. Nées entre 1675 et 1777, elles appartiennent pour l’essentiel à l’aristocratie ou à la bourgeoisie parisienne – « on aurait aimé découvrir, dans des archives oubliées, le récit d’une vie de domestique, d’une commerçante ou d’une fermière ». Il y a quand même Victoire Monnard la lingère – mais qui n’éprouve pas d’aveugle solidarité pour ses consœurs, telle Thérèse Levasseur (épouse Rousseau) qu’elle a eu le malheur de connaître : « Il m’était difficile de concevoir comment un homme aussi éclairé que Jean-Jacques avait pu se fixer près d’une femme aussi nulle. »
Ne pas s’y tromper : le très grand intérêt du volume n’est pas à chercher dans les anecdotes ou les vacheries. Ici parfois le monde se dissout : « Plus du tout de terre, plus de créatures, ni de moi-même » note dans son monastère Françoise-Radegonde le Noir, dont le nom constitue déjà tout un programme mystique. Plus souvent, les pages sont pleines de la vie de l’âme, du for intérieur, de la sensibilité vers laquelle tend une part du siècle. Aimée Steck aspire aux Lettres sans publier ses poèmes ; elle se fait répétitrice ou traductrice pour vivre. « Je me trouve vide d’idées parce que j’ai laissé reposer les miennes trop longtemps. J’ai oublié l’art de les exercer, de les faire mouvoir » : alors ses Cahiers vont lui fournir l’exercice qu’elle espère salvateur. À les parcourir aujourd’hui, on a la drôle d’impression de voir l’infini entrer dans un petit cœur, selon le poignant mouvement des interrogations. Comment trouver la force, conserver une hauteur morale, ménager un « repos intérieur » ? Et « Ne puis-je être aussi pour moi-même un confident et un censeur  ? » Aimée voudrait être la meilleure des lectrices, quand Mlle Necker, future baronne de Staël, se figure un autre destinataire pour son Journal : « nous ne nous aimons pas toujours à l’excès et cependant c’en est si près que je ne puis supporter tout ce qui me rappelle que nous n’en sommes pas là encore. De tous les hommes de la terre c’est lui que j’aurais souhaité comme amant » – aïe, il s’agit de son père. Dans une « scène » mémorable, le voilà qui fait la leçon au futur et glacial mari : « Tenez, monsieur, je vais vous montrer comment on danse avec une demoiselle dont on est amoureux »…
Mlle Necker écrit ces lignes sur ses dix-neuf ans. Quand elle commence ses Notes pour l’éducation de mes enfants, Adélaïde Comtesse déclassée de Castellane en a trente, et, craignant de succomber lors d’un second accouchement, s’autorise de l’élevage de l’aîné, Boniface dit Boni, pour laisser des conseils utiles au père, « associé en autorité ». Texte extraordinaire a plus d’un titre, exotique – à trois ans, on apprend à lire et on boit du vin de Bordeaux (« jusqu’à ce moment, c’était du vin de Bourgogne  ») – et si proche par la teneur des inquiétudes qu’il consigne. Adélaïde perd son deuxième enfant en bas âge mais continue au fil des années de scruter l’évolution de Boni ; à mesure que la mère s’en inquiète, les traits du garnement s’animent par magie, feu follet toujours à manger ses ongles, à monter aux arbres ou à jouer avec de « petits républicains sans éducation » en compagnie desquels il improvise des bataillons. Et les précepteurs auxquels on ne peut se fier, et surtout ce père qui fait montre d’une « tendresse de nourrice » (l’enfant le surnomme papa tété) quand la mère (dite mère rudote) essaie d’inculquer une « éducation plus mâle et plus utile »  ! On se demande si les Notes n’ambitionnent pas, finalement, de hanter le prétendu associé si l’épouse vient à disparaître : la mort n’est jamais loin. L’appareil critique indique qu’elle eut bien lieu, et que papa tété se remaria ; que Boniface devint maréchal de France et laissa un Journal : « Ma mère était une femme de beaucoup d’esprit, d’un caractère difficile ; je la regrettai, mais je l’aimais moins que mon père, facile à vivre et d’un esprit vif et étendu.  » L’ingrat.

Gilles Magniont

La Fabrique de l’intime
Textes établis, présentés et annotés par Catriona Seth
Robert Laffont, « Bouquins », 1216 pages, 30

Auteure avant l’heure Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°142 , avril 2013.
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