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Traduction Alain Cappon*

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143

L’Île de Meša Selimović

Les Rencontres internationales des traducteurs qui se tiendront à Belgrade en mai 2013 auront pour thème, entre autres : « Bien traduire ce qui est mauvais ». Oui, la chose doit être possible, mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Deux situations différentes se présentent au traducteur littéraire. La première, sans doute la plus facile : se voir proposer par un éditeur la traduction d’un livre recommandé par un lecteur ou dont lui-même a eu connaissance, le plus souvent, dans sa version anglaise ou allemande. La seconde, sans conteste la plus fréquente s’agissant de « petites » langues tel le serbo-croate ou ses variantes régionales après l’implosion de l’ex-Yougoslavie, c’est au traducteur que revient l’initiative de proposer un livre… sans garantie aucune que sa démarche sera au final couronnée de succès. Des deux situations, laquelle est la plus séduisante ? La réponse est moins évidente qu’il y paraît à première vue car toutes deux présentent des avantages et des inconvénients.
Se voir proposer un livre, c’est avoir la quasi-certitude que la traduction sera publiée (quoique…), que l’on n’aura pas travaillé – pour paraphraser l’un de mes amis à Belgrade za fioku – pour son tiroir. Néanmoins, se voir proposer un livre, c’est aussi se le voir imposer. Correspond-il au goût du traducteur ? L’inspira-t-il ? Rien n’est moins sûr…
À l’inverse, le traducteur free-lance ne connaît pas ce problème puisque c’est lui qui opère le choix du livre à éventuellement traduire et publier, qui donne carte blanche à sa subjectivité. Le revers de la médaille apparaît d’emblée : il n’a aucune assurance d’emporter l’adhésion d’un éditeur. Il y a encore une dizaine d’années, rédiger une note de lecture, brosser un portrait de l’auteur, traduire une cinquantaine de pages suffisait. Aujourd’hui, il est bien souvent demandé de soumettre l’intégralité de la traduction, et de patienter dans l’attente d’une réponse qui viendra… peut-être. Disons que, dans leur très grande majorité, les éditeurs ont le respect du travail du traducteur et l’honnêteté de lui donner une réponse, quand bien même négative et accompagnée des rituelles précautions oratoires, les « malgré » : « Malgré son caractère séduisant et ses qualités indéniables, nous ne pouvons hélas… » (Que l’on me permette cette brève parenthèse : je ne résiste pas au plaisir – malin – de livrer la réponse orale que m’a faite un éditeur au sujet de L’Île, l’œuvre de Meša Selimović dont il sera question ci-après : « Nous ne pouvons publier un auteur mort. » La qualité d’un auteur et de son œuvre s’éteint-elle avec lui ? C’est à croire…)
Qu’est-il préférable – proposer ou se voir proposer une traduction ?
J’y reviendrai.
Si traduction ne rime pas nécessairement avec publication, quelles sont les motivations du traducteur free-lance ? Celle, à mon sens, de base, est le goût de la lecture : le plaisir que lui aura procuré un livre l’incitera à en envisager ou entreprendre la traduction. En ce qui me concerne, c’est un livre pour enfants qui m’a mis le pied à l’étrier, Teddy, histoire d’un ours, de l’écrivain russe Iouri Kazakov ; j’ai trouvé ce roman tellement beau que j’ai ressenti le besoin impérieux de le présenter aux jeunes lecteurs français. Aujourd’hui, vingt-huit ans après, Teddy se vend toujours, ce qui est pour moi la plus belle des récompenses.
Il m’a toujours semblé que, pour un traducteur débutant, proposer un texte équivaut à acheter un billet de loterie : gagnant ou perdu, une chance sur deux. Qu’il convainque un éditeur, et la tentation sera forte de reprendre un billet. « Méfiez-vous, Alain, m’a dit un jour le regretté Danilo Kiš, la traduction est une drogue… » En toute honnêteté, et de bon cœur, j’avouerai être toujours accroc et n’envisager aucune cure de désintoxication.
L’autre allié du traducteur free-lance est, très paradoxalement, le hasard. C’est lui qui m’a fait découvrir L’Île… sur un trottoir de Belgrade où un vendeur ambulant avait étalé nombre de livres d’occasion. De Meša Selimović, je connaissais bien sûr La Forteresse et Le Derviche et la mort, et le succès qu’ils avaient rencontré, mais pas Ostrvo. Je l’ai donc acheté et, au cours de ma lecture, m’est revenue l’expression utilisée… il y a bien longtemps par mon correspondant anglais au sujet d’un disque qu’à première écoute je trouvais « pas franchement terrible » : It grows on you – peu à peu il s’impose à toi [par sa qualité].
L’Île m’a d’abord dérouté… comme beaucoup de lecteurs à la parution du livre en ex-Yougoslavie où la controverse a fait rage : s’il s’agit d’un recueil de nouvelles, pourquoi les mêmes personnages sont-ils mis en scène ? S’il s’agit d’un roman, pourquoi cette succession de dix-neuf textes sans linéarité narrative ? Comme j’ai tenté de l’expliquer dans la postface que j’ai rédigée, L’Île révèle progressivement une construction complexe qui transparaît dans le jeu subtil auquel l’auteur se livre avec son lecteur. À coups d’annonces, d’échos, de récurrences, il relate l’histoire d’un couple vieillissant tantôt acteur principal, tantôt témoin en retrait des événements de la vie d’autres personnages confrontés aux mêmes interrogations existentielles. Roman ou recueil de nouvelles, qu’importe ; L’Île est un grand livre, une œuvre dont je ne m’explique toujours pas pourquoi, depuis 1974, elle n’avait pas trouvé « preneur » chez nous.
Mais revenons à la question de départ : se voir proposer ou proposer ?
L’option free-lance me paraît plus séduisante malgré le risque encouru et assumé de me voir opposer un refus. Sur les quelque 35 textes que j’ai publiés en traduction française, 5 seulement sont des commandes. Peut-être suis-je dans l’erreur, mais je ne crois pas que l’on puisse livrer une traduction aboutie d’un livre que l’on mésestime – sauf à se lancer dans un travail à cent lieues de la traduction, ledit rewriting. J’ai du mal à envisager mon activité comme une profession et, peut-être suis-je là encore dans l’erreur, mais je ne crois pas que la rémunération soit le but premier du traducteur mais, plutôt, le plaisir de découvrir, de faire découvrir des auteurs et des œuvres de qualité. S’agissant des « petites » langues, rares sont les éditeurs qui disposent d’un lecteur capable de lire l’original, et le traducteur coiffe les casquettes et de lecteur et de conseiller, et c’est sa volonté de « dénicher des perles » qui fait de lui un inventeur au sens juridique du terme : celui qui découvre un trésor, un objet perdu ou longtemps confiné dans l’oubli ou l’ignorance.

* A traduit, entre autres, Svetlana Velmar-Jankovic, Svetislav Basara, Radoslav Petkovic, Miroslav Popovic. L’Île vient de paraître aux éditions Phébus en avril.

Alain Cappon*
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
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