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Histoire littéraire Le roué du bocage

juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145 | par Éric Dussert

Phénomène du XXe siècle, le peintre et épistolier Gaston Chaissac ne cesse d’éblouir par son inventivité et sa fraîcheur. Un été au cœur de ses lettres ne sera pas un été perdu.

Lettres à Jean Paulhan, 1944-1963

Il aura fallu le temps, mais c’est fait ! Cinquante ans après sa disparition paraissent les deux correspondances essentielles de Gaston Chaissac (1910-1964), celles qu’il entretenait avec Jean Paulhan et avec Jean Dubuffet, deux des principaux vecteurs de son succès. Dans le même temps, le musée parisien de La Poste l’expose avec Jean Dubuffet (jusqu’au septembre). Enfant chéri de l’Art brut avec le facteur Cheval, Gaston Chaissac, natif d’Avallon (Yonne), fils adoptif de la Vendée (il vécut à Boulogne, Saint-Florence-sur-L’oie et à Vix), est devenu au fil du temps un grand peintre français dont le parcours a croisé celui de l’Art brut émergeant, mais a fini par dépasser ce cadre et par atteindre ce statut curieux d’outsider qui en matière d’art vaut de l’or. Or, de l’or, il en manqua, faute d’être assez à l’aise avec la vie de la capitale. Alors qu’il est installé à Paris une seconde fois, le dessinateur amateur qu’il est rencontre ses voisins, le peintre Otto Freundlich et sa femme, qui, frappés par son talent « natif », ne vont plus cesser de lui prodiguer leurs conseils. Il organise sa première exposition personnelle en décembre 1938 à Paris, entre en contact avec Paulhan en 1944, qui le met en relation avec Jean Dubuffet, qui l’intègre dès l’origine de la confrérie de l’Art brut à sa fameuse collection.
Autodésigné « peintre rustique moderne », Chaissac est l’un des meilleurs exemples de cet art sans racines « culturelles » dont Dubuffet a besoin pour promouvoir l’art brut, avant de l’exclure de sa collection pour des questions de principe… On accuse alors Dubuffet d’avoir copié son style et de le rejeter, et, d’autre part, on peut constater que Chaissac est le roi du marketing. Et du marketing postal en particulier. En tout cas, il n’est pas un « producteur » naïf ou innocent d’art. Il a par ailleurs un excellent réseau qui le met en rapport avec tout ce que la France compte d’artistes au travail. Avec 35 000 missives transmises à près de 300 correspondants repérés, Chaissac n’est pas un isolé ou un ignorant, même s’il est très fâché avec l’orthographe. Témoigne, par exemple, ce premier message extraordinaire du 22 octobre 1946 à Jean Dubuffet qui vient de prendre une casquette en présentant des œuvres créées à partir de matériaux de récupération (du « cacaïsme » selon Henri Jeanson) : « Cher monsieur. Je pense que votre dernière exposition fut une erreur. Voyez-vous quand on expose il faut plutot montrer des choses qui plaisent aux critiques quitte a peindre ensuite pour certains amateurs qui achetent ». Et d’exposer de but en blanc son système, dans sa langue savoureuse : « Personnellement je me suis fait connaître surtout avec l’aide de mes amis et de mes lettres et c’est incroyable le résultat que j’ai obtenu rien qu’en solicitant à droite et à fauche chez des employeurs qui ont les moyens de se payer des tableaux des emplois variés et en me faisant pistonner. (…) d’un autre côté je crie misere à l’un et je refuse de vendre des tableaux à l’autre. » Apothéose du post-scriptum : « Si ça vous intéressait de posséder de mes dessins sur buvard je puis vous en fournir une douzaine pour 2400 franc. »

« J’ai peint comme d’autres se font enculer. Bien des fois ça ne sert à rien. »
À Jean Paulhan, 25 avril 1947


Sa fantaisie est des plus débridée, son propos est libre. Dès 1949, le critique Raymond Dumay écrivait : « Chaissac me paraît un homme de la plus belle eau, passionné et sincère. Rusé aussi. Comme tous les naïfs. » Drôle d’alchimie qui séduit les intellectuels et enchante toujours la lecture des deux énormes compilations de ses lettres à Paulhan et Dubuffet. Drôle, passionné, passionnant de réflexions décalées, drues comme vache qui pisse, doté d’un humour poétique de décalage et d’autodérision, d’une humilité de goupil, il y a chez Hippobosque au Bocage, l’un de ses nombreux pseudonymes qui sert de titre au premier recueil de ses écrits (Gallimard, 1951), une inventivité formidable.
À partir de 1954, Chaissac publie sa « Chronique de l’oie » dans la NRF, et en 1961 la galeriste d’Yves Klein, Iris Clert, prend en charge son œuvre… En 1952, Anatole Jakovsky publie un essai sur « l’homme orchestre » et les correspondances et proses commencent à paraître : dans La Tour de Feu à partir de 1950, dans Très Amicalement Vôtre (La Louvière, 1965), Le Laisser-Aller des Éliminés. Lettres à l’abbé Coutant et Trente et une lettres à Pierre Boujut (Plein Chant, 1979), Au pays de la calotte vinassouse (Jean Le Mauve, 1979), Je cherche mon éditeur (Rougerie, 1998), ou les Lettres du Morvandiau en blouse boquine à Pierre et Michel Boujut (Plein Chant, 1998).
Et une fois encore ses lettres à Paulhan et à Dubuffet sont un régal, de deux tonalités différentes, il est plus respectueux et aguicheur avec Paulhan, plus intime avec Dubuffet. Son mélange d’innocence (il prétendait n’avoir été lecteur que de Delly et d’Henri Ardel) et de fraîcheur donne à ses mots et à ses coqs-à l’âne l’ampleur d’une œuvre littéraire plus « brute » encore que son œuvre graphique. Et les deux correspondances nouvelles, riches de centaines de pages, couvertures de dessins apparemment malhabiles, de vers tordus et tordants, touchants, soulignent qu’à l’âge du Nouveau roman, la culture dominante n’avait décidément toujours pas tout dominé.

Éric Dussert

Lettres à Jean Paulhan, 1944-1963
Gaston Chaissac
Édition établie par Josette-Yolande Rasle et Dominique Brunet
Éditions Claire Paulhan, 334 pages, 44

Correspondance, 1946-1964
Gaston Chaissac et Jean Dubuffet
Gallimard, 770 pages, prix non mentionné

Le roué du bocage Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°145 , juillet 2013.
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