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Domaine étranger Cordon épistolaire

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Sophie Deltin

La correspondance entre Stefan Zweig et Joseph Roth, planche de salut provisoire pour les deux Juifs autrichiens témoins et victimes du naufrage de leur époque.

Vous ne m’êtes pas seulement intellectuellement proche mais physiquement. C’est le cordon ombilical de l’amitié : il existe. » Tels sont les mots qu’en 1937, Joseph Roth adresse à Stefan Zweig dans une des nombreuses lettres que les deux grands écrivains se seront adressées plus de onze années durant, par-delà la distance de l’exil, par-delà la condamnation de l’Histoire. Aux extrémités de ce « cordon » épistolaire, deux témoins d’un monde brisé par la Première Guerre mondiale, deux héritiers d’une même culture, deux incarnations dissemblables d’un même mythe. D’un côté, Stefan Zweig, l’intellectuel viennois, issu de la grande bourgeoisie juive assimilée, l’un des auteurs de langue allemande les plus illustres de son temps. De l’autre, Joseph Roth, de treize ans son cadet, un de ces petits juifs de l’Est grandis dans un shtetl de Galicie, parti de plein gré d’abord, à Vienne, Berlin puis Paris, où il se fait connaître comme journaliste puis comme écrivain. Deux origines, deux caractères, mais déjà l’admiration et l’estime sont réciproques, le lien s’exalte : « Impossible que je ne vous voie pas cette fois. Cela fait longtemps que mon cœur déborde en silence » écrit Roth avant leur première rencontre qui aura lieu en mai 1929 à Salzbourg. 
La montée du nazisme, la confrontation à un antisémitisme virulent les contraint tous deux à l’exil : dès 1933, à Paris pour l’un, en 1935 à Londres puis aux États-Unis pour l’autre. C’est le début d’une longue errance même si les premiers échanges ont tôt fait de révéler la disparité de leur mode de vie et de leur condition d’émigrés. Séjournant dans des hôtels, Roth vit dans une précarité matérielle croissante. Perpétuellement à cours d’argent, tourmenté par la maladie de sa femme schizophrène, obsédé par les escroqueries dont il est victime, il est acculé à un travail forcené. « Toute amitié avec moi est funeste. Je suis moi-même un mur de lamentations, un amas de ruines. Vous ne savez pas à quel point il fait sombre en moi » écrit dès 1932 ce pessimiste invétéré qui pour survivre, s’en remet toujours plus à la générosité de son bienfaiteur fortuné. Certaines de ses lettres, d’une terrible détresse psychique, trahissent la culpabilité lancinante qui le ronge, quand d’autres versent tout bonnement dans le chantage affectif. De fait, Zweig que l’aisance mondaine de grand-bourgeois a toujours mis à l’abri, accordera à son protégé un soutien autant matériel que moral, tout en le suppliant de refréner sa consommation d’alcool – « Je sombre littéralement degré par degré » note l’auteur de La Légende du Saint-Buveur qui mourra à Paris en 1939, soit trois mois avant la déclaration d’une guerre dont il avait anticipé avec une acuité stupéfiante l’avenir proche. Ainsi, dès 1933, peu après avoir quitté l’Allemagne : « Nous allons vers de grandes catastrophes. (…) Tout cela mène à une nouvelle guerre. Je ne donne plus cher de notre peau. On a réussi à laisser gouverner la barbarie. Ne vous faites aucune illusion. C’est l’enfer qui gouverne ». Dans cet avertissement, c’est bien la « naïveté » de Zweig, sa tendance au compromis face à « l’Adolferie », que Roth a en ligne de mire – non sans réserver, au passage, les termes les plus cinglants à l’encontre d’un Thomas Mann ou d’un Romain Rolland.
D’un tempérament plus délicat et courtois, Zweig s’emporte parfois aussi contre « les jérémiades » et « la haine » de son interlocuteur qu’il met sur le compte de son penchant à l’autodestruction. Vous êtes « votre propre ennemi héréditaire » juge-t-il, l’encourageant ni plus ni moins à se retirer dans « un monastère volontaire  ».
La persécution des juifs est également un sujet sur lequel la verve combative et intransigeante de Roth donne à s’exprimer. Moins en tant que juif – ni l’un ni l’autre ne sont pratiquants ni sionistes – qu’en tant qu’homme. « Peu m’importe de protéger les juifs, insiste Roth, si ce n’est comme l’avant-garde la plus exposée de l’humanité. » Au fil des épreuves, il est vrai, de divergences en malentendus, le ton se refroidit, des silences têtus s’installent. Pour ces deux citoyens du monde, vigies inconsolées de la bêtise et de la barbarie européenne, l’annonce de l’Anschluss en 1938 sonne comme un ultime effondrement.
Au cœur du désastre, cette correspondance, creuset intime d’une foi commune placée dans l’écriture et la langue allemande, reste un témoignage bouleversant de ce qui fut malgré tout une amitié profonde et un acte de résistance en soi. Les deux créateurs qui ont le souci constant de s’envoyer leurs livres, se lisent et se commentent mutuellement dans des lignes où affleure l’intelligence aiguë du « cœur poétique » de l’autre. « L’amitié est la vraie patrie. Et vous pouvez être sûr que je vous garde plus fidèlement que n’importe qui » écrit Roth à celui qu’il appelle aussi son « frère ». « Je ne veux pas vous perdre » lance avec douleur Zweig dans un des derniers messages adressés à celui que le désespoir va bientôt finir d’engloutir en premier.

Sophie Deltin

Correspondance 1927-1938
Stefan Zweig / Joseph Roth
Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses,
Bibliothèque Rivages, 478 pages, 25

Cordon épistolaire Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
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