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Domaine français Échardes, étreinte et parlerie

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Richard Blin

Avec sa manière d’être rien, mais magnifiquement, l’écrivain luxembourgeois Lambert Schlechter érotise l’expression même de la vie. La preuve en deux livres.

Enculer la camarde

L’infini murmure du monde, on l’entend dans les poèmes de Lambert Schlechter et dans les notes qu’il accumule dans les marges d’un livre impossible à écrire parce que trop dépendant des méditations vagabondes d’un velléitaire qui aimerait raconter des histoires – « Je n’ai jamais su raconter des histoires, mes histoires, toujours, s’amorcent & jamais n’aboutissent » – et ne peut qu’amasser parleries et proseries, ne serait-ce que pour être prêt le jour où il commencera à écrire. Multipliant donc les « noircissements provisoires », il empile séquences brèves, notations à chaud, « petites vignettes de prose ». Tout un fatras de « glanures éparses » dont le discontinu colle à merveille au caractère dissonant, fragmentaire de la vie, tout en lui permettant de garder trace de ce qui se perd ou se dissémine dans le flux des choses.
Ce murmure du monde, dont Le Fracas des nuages forme le tome III, Schlechter l’orchestre à sa façon, le transformant en une petite musique assez entêtante. Grâce sans doute à son accent de vérité, à la manière dont il entremêle la volupté et le désespoir, l’éperdu et l’impudeur, le grave et le futile. Une somme d’expériences sensibles qui nous met en présence de quelqu’un, d’un homme qui, à 70 ans passés, est toujours capable de s’étonner des bonheurs du jour, des petits riens de la vie, de sentir, de goûter, d’admirer. Quelqu’un qui sait tirer parti de ces « îlots précaires de beauté et de douceur » que peuvent être la lecture, la nudité, toujours magique et miraculeuse du corps féminin, ou encore tout ce que la banalité des jours compte de rarissime. « La beauté clignote précairement au-dessus d’un abîme immonde. Et rien, plus rien ne pourra plus jamais oblitérer cela. »
Ce sont les reliefs, souvent négligés, de ces fêtes essentielles que recueille Schlechter. Une succession d’alinéas relevant d’un art de la digression au nom duquel, à l’éloge du livre ou de la petite culotte, peut succéder une réflexion sur un film, une chose vue, un rêve, un petit traité sur la ceinture de la Vierge, des extraits d’anciens carnets, des brisées de lecture, une observation botanique, un détail aussi inutile que saugrenu – « Pour rendre visible un spermatozoïde, afin de lui donner la longueur d’un doigt, il faut l’agrandir 7800 fois. » – ou encore le souvenir d’un moment de vie inconfortable ou d’un de ces instants de grâce où la vie n’est que merveille et douceur.
Et parmi ceux-ci, inlassablement revient « l’inassouvissable fascination de gamin » pour le sexe féminin sans parler du rituel du déculottement, de l’acte « absolument inouï, magique & prodigieux de la pénétration » ou de l’indicible fête de la jouissance. Cette voie de l’extase, cet érotisme jubilatoire, Schlechter l’assume, lui qui voudrait dire ces choses comme cela n’a jamais été dit, et parce qu’il lui semble essentiel de mettre à la fois « de la lucidité et de la joie dans ce domaine maudit et plombé par notre éducation si hostile aux joies de l’existence et aux voluptés de corps amoureux ». D’ailleurs il en veut à tous les taiseurs, les escamoteurs, tous ceux qui, dans leurs carnets ou journaux, jamais ne parlent des choses du corps dans ce qu’elles peuvent avoir de positif, d’heureux, de jouissif.
Entre des biographèmes à la manière de Montaigne, de Quignard ou de Perros, on trouve aussi des motifs récurrents liés à la lecture de récits de survivants des camps staliniens ou nazis, de régulières allusions aussi à son intérêt pour les sciences ou à son goût pour les études théologiques, lui qui, pourtant, ne croit qu’à la résurrection de la nature, au printemps. Mais c’est qu’il prend « un plaisir intellectuel exquis à constater à quel point, par les absurdités tour à tour pittoresques et effrayantes qu’elle profère, la théologie tout le temps s’autoréfute ».
Alternativement émerveillé, désespéré, solitaire, amoureux, révolté, Schlechter est cependant toujours prêt à enculer la camarde, une expression dont il a fait le titre d’un recueil de neuvains – quatre distiques suivis d’un vers isolé. Sous-titré « Petites parleries au fil des jours », ce livre a tout d’un bras d’honneur fait à la mort par un « macchabée en sursis ». « … // envie de célébrer, envie de mortiférer / obscéniser, posthumiser, en permanence - // tout est bon pour enculer la camarde. » Si pour l’auteur il ne s’agit que de « chuchotements à peine audibles, à ras de vie, à fleur de peau », ils disent cependant, à la manière d’une sorte de musique de chambre, une façon d’être au monde, un art de s’accommoder aux rythmes les plus cachés de la vie. Une voix portée par le corps tout entier, une parole éprouvée qui résonne de la nudité métaphysique des choses.

Richard Blin

Lambert Schlechter
Le fracas des nuages
Le Castor Astral, 296 pages, 17
et Enculer là camarade
avec des illustrations de Lysiane Schlechter
éd. Phi, 136 pages, 15

Échardes, étreinte et parlerie Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
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