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Domaine étranger Feux follets

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Valérie Nigdélian

Face à l’horreur du monde, trois romans de Gyula Krúdy, et la quête sans fin d’un homme pour trouver « l’endroit où le bonheur habite ».

L' Affaire Eszter Solymosi

Le Coq de madame Cléophas

Sur le bandeau de L’Affaire Eszter Solymosi (prononcez choyemochi) que publiaient au printemps dernier les éditions Albin Michel, cette phrase de Sándor Márai : « Gyula Krúdy est un géant. » Pas sûr néanmoins que Márai se référât à ce grand roman-fleuve, publié par un auteur déclinant et sans le sou au début des années 1930 sous forme de feuilleton dans la presse, qui relate avec une efficacité néanmoins indiscutable une affaire Dreyfus à la hongroise. En 1882, la jeune Eszter, 14 ans, disparaît. Cette « créature triste et muette  », petite servante dont personne ne connaissait même la couleur des yeux, devient alors une légende – mais rien d’autre qu’un prétexte à la haine. Ignorance crasse, misère noire, antisémitisme latent ou manifeste, rumeurs, superstitions : quelques Juifs sont accusés de l’avoir « saignée à blanc » pour accomplir le rite de la Pâque et, dit-on, mélanger son sang à la farine du pain azyme. Krúdy, très documenté, retrace avec force détails le déroulement de l’enquête et d’un procès monté de toutes pièces (aveux extorqués, faux témoignages), jusqu’à l’acquittement de ces pauvres diables qui provoqua dix jours d’émeute et d’un indescriptible chaos dans les rues de Budapest, mais eut également un retentissement mondial. Dans la Hongrie d’alors, bientôt alliée à l’Allemagne nazie et engagée dans une politique de répression sans précédent à l’encontre des Juifs (mais aussi des Roms et des communistes), le geste de Krúdy se voulait donc politique, contre une vision du monde dont les relents délétères ne cessent de parvenir jusqu’à nous : la tombe d’Eszter est aujourd’hui un lieu de pèlerinage pour l’extrême droite hongroise.
Géant, Krúdy ? Peut-être pas dans ce tableau, certes brillant et terrifiant dans sa peinture d’une comédie ô combien inhumaine, mais à la forme toutefois très classique. C’est ailleurs que l’on ira chercher des façons plus inattendues de voyager, et notamment dans deux textes que publient respectivement les éditions Circé et La Baconnière, Le Coq de madame Cléophas et N. N., où le contexte politique troublé de l’époque (le pays passe en deux ans de l’empire à la démocratie, de la République des conseils au régime dictatorial d’Horthy) est pour le moins absent, comme effacé. On dira en préambule que de coq ou de Mme Cléophas, il est très peu question… Un titre en forme de fausse piste donc, l’occasion du retour de Pistoli que nous avions quitté, avec Héliotrope (L’Harmattan, 2004), mort et enterré, et le prétexte à une longue digression qui vient faire littéralement éclater la construction linéaire du roman.
Voilà donc Pistoli ressuscité, mais bien décidé à en finir avec sa vie d’avant, vouée à la consommation, sans modération, de tous les plaisirs. Alter ego de Krúdy, dont la passion pour les femmes, le jeu et les tavernes obscures contribua à imposer la célébrité de son vivant, ce Casanova vieillissant et aigri est tiré de sa retraite par les cris d’orfraie de la propriétaire de l’animal disparu : une « quête » commence alors, aux allures de conte, fantaisie lunaire et débridée où croisent des personnages étranges et excessifs – tsiganes, baronnes, rois des mendiants, exorcistes et cochons farcis… et surtout les femmes, si agaçantes, si superficielles, si désirables, par lesquelles ne cesse de se répéter « le même pas de danse », « le même jeu » – « cette superstition imbécile qu’on nomme l’amour ». L’ultime tentation que Pistoli rejette d’un geste décidé de la tête, retournant pour toujours dans sa cahute solitaire ? La crête rouge du coq retrouvé, caché sous un jupon.
Cette hésitation que suscite le désir, qui vient troubler l’apaisement promis par l’isolement, forme le cœur de N. N., un texte étrange et envoûtant, rythmé par l’apparition intermittente d’une cigale, et de son chant – le symbole d’une joie tranquille et simple, celle des corps qui respirent au rythme des saisons, des giboulées de printemps aux averses neigeuses, des naissances et des disparitions, et qui attendent leur fin sans joie ni peine. La profonde mélancolie de la prose de Krúdy s’exprime quand, au sentiment de la permanence du monde, s’ajoute celui de la fugacité promise à tous ici-bas. De ces figures féminines qui se confondent parfois avec celle de la Mère – « odeur de la pomme d’hiver  » –, de la douceur et la sécurité il faudra, par un trou dans le cœur, s’extirper – « un trou nécessaire pour pouvoir laisser ceux qu’on aime, quitter les villes et les tavernes où on était bien, se lever de son lit chaud à minuit et sortir sur la grand-route où la pluie frappe comme la flèche des Tatars », avant de revenir momentanément pour à nouveau prendre la fuite, devenir « une étoile vagabonde », échapper à l’engourdissement et à la résignation pour aller vers des cieux variables, incertains et changeants, des plaisirs et des vanités dérisoires où le bonheur ne reste pas moins interdit aux hommes.

Valérie Nigdélian-Fabre

Gyula Krùdy
L’Affaire Eszter Solymosi,
Traduit du hongrois par Catherine Fay
Albin Michel, 656 p., 24
Le Coq de madame Cléophas
Traduit du hongrois par Paul-Victor Desarbres et Guillaume Métayer
Circé, 120 p., 10
N. N
Traduit du hongrois par Ibolya Virág
La Baconnière, 216 p., 10

Feux follets Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
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