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Poésie Permis de séjour

mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151 | par Richard Blin

En deux livres, Paul de Roux nous révèle l’innervation secrète de fugitifs états de grâce autant que les tourments d’une âme boiteuse.

Entrevoir / front contre la vitre / halte obscure

Paul de Roux c’est d’abord un regard toujours vierge, une voix modulant les signes qui soudain éclairent un moment ou en aggravent la profondeur. Une voix dont la simplicité magique impose des présences, qu’il s’agisse d’oiseaux dont les cris « émiettent la lumière », des événements du ciel s’inscrivant dans la découpe d’une fenêtre ou d’une petite fille psalmodiant en langue étrangère : « dans l’air ses phrases dessinent des rinceaux, des pampres / les murs se retiennent de respirer / (c’est ainsi quand on a un papillon sur le bras) ».
Humilité, dépouillement, ce qui requiert le poète c’est l’espoir d’entrevoir – dans la nudité des éclats d’un présent plus béquillant que dansant – les signes d’un ressaisissement, le moyen de redonner un sens à une vie harassante, dans l’édition, à Paris où il se sentira toujours en exil. Car né à Nîmes, en 1937, il n’aura de cesse de retrouver la lumière des paysages qui l’ont façonné, « les étés de l’enfance dans le chant des cigales ». Dès le titre du premier livre publié, Entrevoir (1980), se lit déjà une forme de restriction que ne feront qu’accentuer les titres suivants, Le Front contre la vitre (1987) et La Halte obscure (1993), ici réunis en un seul volume. Livres d’un homme qui étouffe – « La vie coincée / dans les mornes immeubles où le seul viatique / adorable est la feuille qui tremble » – qui se débat entre le sentiment d’être à côté de la vie et son désir de communion avec le cœur battant du monde. Son salut, il le cherche dans le rythme nu et l’évidence des forces élémentaires comme dans l’humble trésor quotidien des réalités communes. Presque rien : le vent qui bouge les feuilles, la délicatesse d’un gris dans les nuées, la « disponibilité curative » d’un arbre, des reflets dans l’œil d’un chat.
De ce réseau de signes secrets, le poème se fait le miroir. Si Paul de Roux scrute ce qui l’entoure avec une attention minutieuse c’est que regarder est l’acte fondateur, celui qui inaugure l’écriture, rétablit la continuité entre soi et le monde et permet, parfois, d’entrevoir cette « étincelle d’or de la lumière nature » si chère à Rimbaud, et dont l’aube – « cette teinte bleu et rose de l’aube, quand rien / n’est fait, quand rien n’est exigé » – serait le motif palpitant. Moment quasi sacré qui, par osmose, agit sur l’humeur du poète, le délivre un instant de toute médiocrité, l’élève au-dessus des naufrages potentiels de la journée qui commence. Au fil de vers « inhumains comme sont inhumains la lumière du soleil, l’écume des vagues, la silhouette d’un pin, un papillon » (Carnets 1984-1985), c’est au bord de la grâce d’exister que nous mène Paul de Roux. Mais la beauté reçue comme un don et la façon qu’il a de prendre le pouls de ce qui est sont essentiellement le moyen de conjurer l’obstacle invisible qui le retranche du monde, ce mal obscur à lui-même qui le fait souvent osciller entre moments de communion heureuse et moments d’angoisse, comme en témoigne le cinquième volume des Carnets (les précédents ont été publiés aux éditions Le Temps qu’il fait), et le dernier puisqu’à présent, privé de mémoire par une maladie implacable, Paul de Roux a oublié qui il était et même qu’il a été (voir dans Tombeau du Capricorne, le magnifique hommage que Guy Goffette lui rend, Gallimard, 2009).
« Il faut dire pour endurer sans s’amoindrir : alors ce ne sont pas les issues de secours qui se découvrent, mais des permis de séjour », note-t-il en mai 2000. Alors il dit, avec le toujours même souci du passage des jours et la même humilité, ce qui vient alourdir son âme ou la sanctifier : ses visites dans les musées – du Louvre, il avoue qu’il est devenu le substitut de ses sentiers, ses bois, ses montagnes –, ses lectures (Munier, Borges, de Unamuno, Suarès, Jünger, Thucydide…). Il dit son regret de ne pas avoir étudié les sciences naturelles, se régale du spectacle que lui offre le « petit théâtre » de la cour sur laquelle donnait l’une des fenêtres de son appartement, évoque ses voyages (la Grèce, Anvers, Séville…). Il note son obsession du manque « quand c’est l’inépuisable qui (le) submerge », reconnaît que « ce qui importe, c’est d’avoir la nostalgie d’un certain bleu dans les yeux d’une fille ». Il se reproche sa faiblesse, son atonie, se dit tétanisé par l’anxiété, épuisé, perdu, comme lors d’un séjour sur l’île de Hoëdic. « Je regarde la mer, une voile au loin (…). Mais je doute d’être là. Où suis-je alors ? » Des pages émouvantes, ponctuées d’ellipses, comme suspendues entre présence et vacuité, don et deuil, mais constamment animées par le désir de donner à la moindre chose, le relief de l’unique.

Richard Blin

Paul De Roux
Entrevoir
suivi de Le Front contre la vitre
et de La Halte obscure
Préfacé par Guy Goffette,
Poésie/Gallimard, 384 pages, 9,50
et Au jour le jour 5, Carnets 2000-2005
Avant-propos de Gilles Ortlieb,
Le Bruit du temps, 224 pages, 15

Permis de séjour Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°151 , mars 2014.
LMDA PDF n°151
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