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Intemporels Délires érudits

octobre 2014 | Le Matricule des Anges n°157 | par Didier Garcia

Dans cette galerie de portraits, l’Argentin Wilcock donne vie à trente-cinq hommes de génie. Qui refont le monde à leur façon.

La Synagogue des iconoclastes

Qu’ont en commun Aaron Rosenblum, le pasteur évangélique Gheorghescu et Armando Aprila ? En apparence, pas grand-chose. Le premier préconisait le retour à l’époque élisabéthaine (et plus précisément avant la fatidique année 1580), quitte pour ce faire à abolir les droits de l’homme, les motocyclettes, et à rétablir « la peste, la variole et le typhus comme moyens de contrôle de la population ». Le second conservait 227 cadavres dans de profonds bassins de sel, dans le seul but de les présenter en « bon état » devant Dieu lors du Jugement dernier (en la matière on n’est jamais trop prudent). Quant au troisième, il avait rédigé le projet d’une société dans laquelle on aurait enjoint à la population d’éviter le mariage et qui aurait été débarrassée des irruptions volcaniques, en raison de leur haute dangerosité (grâce à ces deux mesures phares, l’auteur promettait l’éternité à 90% de ses concitoyens).
À la vérité, ces trois hommes ont pour seul point commun d’appartenir aux iconoclastes (autrement dit des êtres hostiles aux traditions) si savamment évoqués par Juan Rodolfo Wilcock (1919-1978), en qui Pasolini voyait un « visiteur-damné de l’enfer ». Trois échantillons parmi les trente-cinq vies imaginaires réunies dans ce singulier florilège.
Ce que Wilcock nous donne ici à lire, ce sont des biographies de quelques pages, parfois de quelques lignes, accompagnées de commentaires érudits, et parfois d’exégèses, sur l’ouvrage essentiel que chacun est censé avoir laissé à la postérité. Pour l’auteur, ce sont donc des iconoclastes, mais nous pouvons aussi voir en eux des farfelus, des illuminés, des personnages extravagants, arrimés à leur petit grain de folie et à leur cheval de bataille, ne se contentant pas de vivre leur extravagance mais la couchant sur le papier, l’exposant, la défendant, l’illustrant, avec le sérieux qui convient pour convaincre les autres qu’ils ont tort de ne pas vous emboîter le pas.
Dans ces pages, les inventeurs ont la part belle (il faut dire aussi que l’on peut inventer tout et n’importe quoi !) : untel a conçu un « système de sonnettes à capacité sélective, pour savoir si la personne qui se trouve derrière la porte est un visiteur important ou sans importance, un gêneur ou le facteur », tel autre un « déplumeur de poules automatique et à vapeur » (dont on nous dit qu’il pourrait également être utilisé sur des dindes), tel autre enfin « un interrupteur relié au pied afin de ne pas s’endormir avec la lumière allumée ». D’autres ont des faits d’armes encore plus glorieux, comme ce José Valdès y Prom, dont les facultés télépathiques sont telles qu’il peut jouer des parties d’échec à distance et même hypnotiser le fils d’un tsar.
Bien sûr, tout cela est trop séduisant pour être vrai : les vies de ces trente-cinq utopistes sont inventées de toutes pièces. Qu’à cela ne tienne : ces portraits sont tellement convaincants que nous croyons en eux sans faire le moindre effort (Carlo Olgiati est d’ailleurs présenté comme « l’arrière-grand-père de l’auteur »). La mystification fonctionne aussi bien ici que dans les Vies imaginaires de Marcel Schwob, dans les installations surréalistes du professeur Canterel du Locus Solus de Raymond Roussel ou dans les livres inventés de Borges. Mais Wilcock ajoute l’humour, ce qui ne gâte rien, bien au contraire. Dans cette Synagogue des iconoclastes, les occasions de rire (ou sourire) ne manquent pas. Les Français par exemple en prennent facilement pour leur grade, eux qui sont connus et réputés pour être de purs « monoglottes ». Et certaines remarques ne sont pas sans rappeler celles du Vialatte des chroniques : « Lorsque les Prussiens envahirent nos provinces bien aimées et coupèrent les seins des femmes enceintes (et, ce qui fut bien pire, les fils électriques) ».
Initialement publiée en 1972, et écrite par un faux encyclopédiste armé d’une fausse érudition, cette anthologie d’utopistes est savoureuse en diable. D’abord parce nous dévorons ce volume avec une curiosité que chaque biographie renouvelle, puisqu’à la fin de chaque texte nous nous demandons quelle improbable fantaisie nous attend au suivant. Ensuite parce que Wilcock n’a pas son pareil (exception faite de Borges) pour mêler la fiction et la pseudo-érudition, les faisant se nourrir l’une l’autre. Enfin parce qu’en nous révélant que certains ont pu croire que le son est lumière, qu’à l’origine les Français étaient noirs, qu’il existe une substance capable d’annuler la force de gravité et qu’à l’aide d’un instrument à hélices on peut démontrer l’existence de Dieu par des preuves mécaniques, ce florilège nous donne l’impression que tout est possible. Y compris changer la face du monde. Pouvoir y croire le temps d’une lecture, cela fait du bien.

Didier Garcia

La Synagogue des iconoclastes
J. Rodolfo Wilcock
Traduit de l’italien par Giovanni Joppolo
Gallimard, 176 pages, 17,75

Délires érudits Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°157 , octobre 2014.
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