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Égarés, oubliés Nourriture des cœurs

février 2015 | Le Matricule des Anges n°160 | par Éric Dussert

Descendante d’une influente famille de cheikhs soufis, la romancière Out el Kouloub vécut en princesse sa francophonie et son féminisme.

En 1937, alors que Georges Henein fonde au Caire le groupe Art et Liberté, une jeune membre de l’élite égyptienne, Out el Kouloub el Demerdachiech, publie son premier roman à Paris, Harem, chez Gallimard. C’est le deuxième livre d’une série de huit qui, à l’exception des Trois contes de l’amour et de la mort, hébergés par Corréa en 1940, et de l’inaugural Au hasard de la pensée (Al Maaref, 1934), paraîtront sous cette marque. Elle avait commencé à écrire très jeune ce qui va devenir un plaidoyer pour l’amélioration de la condition féminine égyptienne.
Ses livres bénéficièrent d’un accueil attentif en France. Parce qu’ils étaient écrits en français – langue de l’élite cairote alors sous domination britannique –, et parce qu’ils contribuaient à alimenter cette mode du récit de voyage et de l’exotisme qui tourmente les Hexagonaux depuis la Campagne d’Egypte (1798-1801), Dominique d’Eugène Fromentin ou l’Aziyadé de Pierre Loti – un Loti dont Out el Kouloub juge Les Désenchantées « à l’eau de rose » dans son Coffret hindou (1951).
Née au Caire en 1892, Out el Kouloub est la fille du cheikh d’une importante confrérie soufie, la Tarrika el Mohamadieh. Elle descend d’une vieille famille caucasienne installée en Egypte vers 1517 après la conquête ottomane. Son patronyme, Timur-Tash, signifie « Fer et Pierre » parce qu’un de ses ancêtres avait fait preuve de courage et d’abnégation : il s’était sacrifié en acceptant de pénétrer dans le tombeau du prophète à Médine pour s’assurer que son corps n’avait pas été déplacé à Venise comme le prétendait la rumeur. Condamné par ce geste, il fut sauvé en perdant miraculeusement la parole au moment de sortir du tombeau – il ne risquait plus de révéler ce qu’il avait vu. Cette détermination, Out el Kouloub en aura fait preuve elle aussi.
Rare femme parmi les écrivains d’Egypte, Out el Kouloub surprend par sa culture et son éclectisme. Elle est veuve ou divorcée, on l’ignore. Nourriture des cœurs, puisque c’est ce que signifie son nom, est à la tête d’un domaine important et son palais au bord du Nil attire les intellectuels de passage. Comme l’écrit en 1940 son préfacier André Maurois, « Tout cela fait un mélange original et sympathique de grande dame égyptienne, de “gentlewoman-farmer” et de conteuse française ». Henry Peyre ajoute ceci : « aux conférences que donnaient devant des salles avides de nouveauté (…), on remarquait une femme vêtue de noir, voilée selon la tradition musulmane, jeune et belle, entourée de la déférence des pachas et des fonctionnaires qui savaient l’ancienneté et le renom de sa famille. Elle était la mère de cinq enfants élevés dans les plus strictes traditions de l’Islam (…) ».
Partageant la culture francophile des élites égyptiennes, elle a lu Anatole France, Mauriac, Platon, Spinoza et a particulièrement étudié le style de Flaubert. Tout naturellement, elle fait parvenir ses manuscrits à Paris, chez Gallimard, et voit ses livres en retour arborer des préfaces de Paul Morand, de Jean Cocteau, ou d’Émile Dermenghem. Ce dernier, spécialiste de la culture musulmane, relève son absence d’afféterie. Ses écrits dépourvus d’arabesques ou d’amphigouris stylistiques frappent en effet par leur simplicité et leur naturel. Exempts du psychologisme qui noie le tout-venant romanesque d’alors, et sans chercher à pasticher les chefs-d’œuvre, ses livres frappent par leur fraîcheur.
Le sujet qui l’absorbe, c’est la condition de la femme au cœur d’une société traditionnelle qui se modernise. Dans Harem, elle offre la description minutieuse un lieu qui fascine tant le lecteur occidental, mais où elle trace, elle, un drame passionnel tel qu’on en a lu sous la plume de Simenon ou de Balzac. L’histoire de la condition féminine qui conduira à l’émancipation, « Tahrir el mah’ra », imprègne son œuvre qui y prend une valeur ethnographique : mariage forcé, rivalités des femmes, répudiations, esclavage consenti, Out el Kouloub est bien une disciple de Kassem Amin (1863-1908), ce penseur de la renaissance arabe moderne, qui écrivait en 1899 dans La Libération de la femme : « Imposer le hijab à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. »
Le monde secret qu’elle donne à voir se situe à l’abri des moucharabiehs, dans ces « vieux quartiers du Caire, là où une antique splendeur n’est plus aujourd’hui que misère et abandon, parmi les débris des riches demeures des mamelouks ». Voilà qui annonce Naguib Mahfouz et Albert Cossery lorsqu’elle peint la « codia », la magicienne, celle qui pratique le zar, l’exorcisme de la stérilité. Avec Zanouba (1947), elle montre le tableau très vivant de la vie égyptienne au moment où les traditions marquent le pas. Son dernier roman, Hefnaoui le magnifique (1961) évoque encore les mœurs rétrogrades qui gâchent des vies et dans Ramza (1958), elle établit le portrait d’une femme en lutte contre le patriarcat – qui peut être aussi une métaphore du joug britannique – et paie de sa personne pour acquérir la liberté.
Dans la tension dramatique de ses livres, Out el Kouloub constate qu’il reste à libérer les femmes de leur mentalité d’esclave. Alors que les harems tendent à disparaître, elle milite pour l’éducation féminine. Son féminisme est plus réformateur que révolutionnaire, il est conciliateur pour tout dire, mais son œuvre qui manifeste un profond attachement à la nation et au patrimoine égyptiens n’aura pas la chance de participer à la mutation de l’après-guerre : en 1961 le régime de Nasser confisque les biens des confréries musulmanes. Elle s’exile alors en Europe et meurt accidentellement à Graz, en Autriche en 1968.

Éric Dussert

Nourriture des cœurs Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°160 , février 2015.
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