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Intemporels Soldat de pacotille

février 2015 | Le Matricule des Anges n°160 | par Didier Garcia

Dans Sozaboy, le Nigérian Saro-Wiwa règle ses comptes avec la guerre du Biafra. Une peinture vraiment loufoque.

Sozaboy (pétit minitaire)

Comment écrire sur la guerre ? Quels mots trouver pour en dire toute l’horreur ? L’écrivain s’efforce souvent de montrer les choses telles qu’elles furent, dans leur nudité la plus crue, soit en les présentant à distance, soit en s’installant au cœur du conflit. Et, selon ses besoins ou sa soif de réel, il convoque des témoins, civils ou militaires, pour leur donner tour à tour la parole.
Quelles que soient la manière choisie et les options retenues, il lui faut présenter les belligérants, et donner au lecteur la possibilité d’identifier les protagonistes du drame, de sorte qu’à chaque page il sache exactement de quel côté il se trouve.
Vous n’aurez rien de tout cela avec Ken Saro-Wiwa (1941-1995). Pétit Minitaire, le narrateur de ce roman, est un conscrit qui ne comprend rien à rien, et surtout pas à ce qui se trame autour de lui. D’ailleurs, s’il a décidé, au sortir de l’enfance, de rejoindre les rangs de l’armée, ce n’est ni pour combattre ni pour défendre les siens. Ses ambitions sont moins nobles, mais pas inavouables pour autant : en mettre plein la vue aux membres de son village et faire son « pétit malin » devant sa femme, dont il ne cesse de vanter les charmes, avec ses mots à lui (c’est une « vraie fille avec ampoules 100 watts », autrement dit à la poitrine généreuse).
Pour évoquer le mal étrange qui commence à frapper son pays (un mal d’autant plus difficile à percevoir qu’il vient de l’intérieur), notre apprenti militaire s’exprime dans un anglais pourri (rotten english), mélange de pidgin, d’anglais altéré et de bon anglais. Ce qui, de bout en bout, nous vaut ce genre de phrases : « y a une femme qui parlait que le soleil va briller normalement et que les gens vont pas mourir encore parce que y en aura médicaments dans hôpital et docteur il va opérer cadeau ». La situation complexe qu’il découvre autour de lui (le sel venant d’abord à manquer, puis des militaires pillant leur village, sous l’œil indulgent du chef local), se résume dans sa bouche à un vaste « merdement » ou, parfois, lorsque sa pensée se fait plus audacieuse, à un tissu de « connories » avec « méchanceté en pagaille ». De là à pouvoir comprendre avec précision qui est l’ennemi et ce qu’il réclame, c’est une autre paire de manches. Son manque de clairvoyance et sa crédulité lui permettent de dire tout ce qui lui passe par la tête, du truisme à l’ineptie. Et pire encore : de tout croire. Se persuader par exemple qu’un vieux villageois s’est rendu en Birmanie pour y combattre Hitla (Hitler, bien entendu). S’en persuader au point de vouloir imiter ce coup d’éclat, ou faire encore mieux. La réalité le fera vite déchanter.
C’est donc sur le terrain, par la pratique en quelque sorte, qu’il découvre qu’en temps de guerre « n’importe quoi peut arriver », que tout le monde est l’ennemi de tout le monde, et qu’en l’ami d’aujourd’hui se cache peut-être l’ennemi de demain. Pour résumer ces poncifs en une formule que Pétit Minitaire ne se lasse pas de répéter : la guerre c’est « long zhistoire », laquelle a pour principale conséquence de l’embrouiller et de le « quiquiner ».
Peu importe finalement qu’il s’agisse ici de la guerre civile nigériane (1967-1970), mieux connue sous le nom de guerre du Biafra, laquelle fit un peu plus d’un million de morts, essentiellement parmi les civils. Celle-ci vaut pour toutes les autres. Ce n’est pas notre brillant narrateur qui viendra nous contredire. Son avis personnel repose tout entier dans une de ces tautologies dont il a le secret et qui sont comme la signature de sa pensée : « la guerre c’est la guerre » (et peut-être en effet n’y a-t-il rien qui puisse être ajouté).
En ayant choisi un narrateur niais mais plutôt attachant (et peut-être d’autant plus attachant que sa bêtise le rend plus vulnérable), Ken Saro-Wiwa n’en révèle que mieux l’horreur et l’absurdité de la guerre. Et pourtant, Sozaboy est un livre dans lequel il fait bon séjourner. Un livre certes bouleversant, mais qui fait rire de bon cœur (comme nous n’avions pas ri depuis longtemps en compagnie d’un roman), surtout quand notre lecture a pu se faire à voix haute, avec l’accent qui nous a paru convenir (il y a quelque chose de jubilatoire à prendre ces phrases en bouche et à les faire résonner autour de soi). Nous rions des évidences qu’il formule laborieusement et qui lui tiennent lieu de révélations. Rions de sa naïveté, de son regard d’enfant qui le fait s’étonner d’à peu près tout (car il en croit rarement ses yeux), en oubliant à quel point tout cela est tragique, en oubliant qu’il s’agit d’une vraie guerre, avec de vrais morts, et de vrais camps de réfugiés. En gros, nous rions de son incompréhension, laquelle, en pareilles circonstances, pourrait aussi être la nôtre.

Didier Garcia

Sozaboy
de Ken Saro-Wiwa
Traduit de l’anglais pourri (Nigeria) par Samuel Millogo et Amadou Bissiri
Babel, 320 pages, 9,50

Soldat de pacotille Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°160 , février 2015.
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