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Essais Littérature traversière

mai 2015 | Le Matricule des Anges n°163 | par Chloé Brendlé

Un bel essai de Laurent Demanze rend hommage aux récits contemporains qui s’aventurent sur le terrain des sciences.

Les Fictions encyclopédiques

Du combat commencé au XIXe siècle entre la littérature et la science, il semble que la seconde a triomphé depuis longtemps. Experts et scientifiques n’en finissent pas de ratifier le réel, tandis que les écrivains ménageraient des replis vers l’intime ou l’expérience d’autrui.
Et pourtant, certains résistent à cette division des territoires et s’approprient différents savoirs. Météorologie, botanique, électricité, épisodes exhumés de l’histoire des sciences et des découvertes, lexiques d’époques, souvenirs d’école et de leçons de choses : l’inventaire est long de ces pépites de savoir déposées dans des récits, fictifs ou non. On pense à des livres sérieux, intimidants ; « On imagine souvent l’encyclopédiste perdu dans une bibliothèque, qui sent fort la lampe et l’étude ». On a oublié Rabelais, clerc, médecin, blasphémateur jubilatoire, l’un des premiers à parler d’encyclopédie, et à rêver ses romans comme une épopée des savoirs. Ce sont ses lointains descendants que nous invite à découvrir Les Fictions encyclopédiques  ; ils s’appellent Pierre Senges, Gérard Macé, Pierre Bergounioux, Pascal Quignard, mais aussi Annie Ernaux, Gérard Genette, Didier Blonde, Emmanuelle Pireyre, Stéphane Audeguy… Les formes qu’ils empruntent sont aussi variées que possible : romans, abécédaires, fragments, essais, jusqu’aux limites du livre (Jean-Yves Jouannais par exemple compose son Encyclopédie des guerres « en acte », à l’occasion de conférences qu’il improvise à Beaubourg).
Ils ont tous en commun d’appartenir à la « ligne Bouvard et Pécuchet  », cet étrange roman posthume de Flaubert. Que les héros de cette recherche compulsive sur tous les savoirs de leur temps soient deux idiots du village, et transforment un récit sur la science en déconstruction de celle-ci n’est pas le moindre des paradoxes. On sait que le rêve de Flaubert était avec Madame Bovary d’écrire un livre sur « rien » ; on met de côté la boulimie de celui qui écrivait dans une lettre « Il faudrait tout connaître pour écrire ». Loin d’être l’érudit ratiocineur que l’on croyait, l’écrivain encyclopédiste est un sceptique empêtré dans son désir savant. Il hésite, mélange, déhiérarchise, oublie. Il s’inquiète autant qu’il s’amuse. Il s’inscrit contre la prétention à faire rentrer le monde dans un roman qui animait un Balzac ou un Proust : « À la manière d’un archéologue ou d’un paléontologue, le romancier recompose l’intégralité d’un monde enfoui à partir d’une trace et fait renaître toute une ville dans une tasse de thé. » C’est donc autant l’exhaustivité supposée de la science que la prétention totalisante du genre romanesque qui est mise à mal dans ces textes contemporains qui, selon une très belle formule, font plutôt « œuvre de leur égarement ». Au lieu d’accumuler, ils tendent plutôt à soustraire, à l’instar de ce personnage de La Vie mode d’emploi, Cinoc, dont le métier consiste à évincer du dictionnaire les mots périmés pour laisser de la place aux entrants…
Plus que de contenus scientifiques, Laurent Demanze nous parle alors beaucoup du corps impliqué par l’apprentissage : il y a d’abord le péché capital de la gourmandise, puis les plaisirs du braconnage, et surtout ceux de l’arpentage et du voyage. Car ce cyclisme intellectuel qu’est l’encyclopédisme puise dans un imaginaire spatial voire utopique ; l’odyssée et le labyrinthe ont pris aujourd’hui le relais de l’antique arbre de la connaissance, et superposent sans fin exploration du monde et immersion dans la bibliothèque. Le rapport amateur de l’écrivain contemporain aux savoirs se retrouve dans l’écriture élective et enthousiaste de l’essayiste, dessinant en filigrane un autoportrait de lecteur, « comme si notre identité nous était soufflée par les livres parcourus ». Le moment peut-être le plus passionnant des Fictions encyclopédiques est celui où le critique articule ainsi l’intime et le collectif. En effet, collecter les savoirs anciens ou présents, ou les mots d’époque, à la manière d’Annie Ernaux dans Les Années, c’est à la fois se faire mémoire du temps des autres et du sien (la presque homonymie du titre et de l’écrivaine ne sont pas sans raison). À partir de cette catégorie proposée qu’on pouvait penser mineure, c’est la nécessité littéraire qui se dévoile, dans sa double dimension langagière (la langue commune héritée) et politique (le sens à défaire et reconstruire).
Laurent Demanze est passé d’un travail sur les récits de filiation (notamment avec Les Encres orphelines, également paru chez Corti, en 2008) à ce nouvel essai ; il ne s’agit pas d’un saut du récit familial et intimiste à ce qui serait le vaste monde dépersonnalisé de la science. Il montre au contraire, à l’image des Essais de Montaigne, conçus pour servir d’écrin immortel à son ami disparu, Etienne de La Boétie, l’entremêlement de la vie et du savoir, et fait de tout texte « une arche de Noé qui préserve le monde ».

Chloé Brendlé

Les Fictions encyclopédiques
de Laurent Demanze
José Corti, 348 p., 25

Littérature traversière Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°163 , mai 2015.
LMDA papier n°163
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