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Poches Harlem sur Marseille

juillet 2015 | Le Matricule des Anges n°165 | par Pascal Jourdana

Quel regard un auteur noir américain originaire de la Jamaïque portait sur le Marseille « chaud » des années 20 ? Réponse avec Banjo.

Inspirateur de Léopold Sédar Senghor, Claude McKay, auteur noir américain originaire de la Jamaïque, fut un des premiers écrivains à défendre le mouvement littéraire de la négritude. Et c’est à Marseille, le port par excellence des marins du monde entier, que se déroule dans les années vingt le tourbillonnant Banjo, ce roman qui a largement contribué à sa reconnaissance.
Paru en 1928, Banjo, grâce à cette réédition et la traduction de Michel Fabre (parue tout d’abord chez Andre Dimanche en 1999), retrouve toute sa modernité. Marseille y est décrite à travers les histoires, joyeuses le plus souvent, de Banjo, de Ray et de leur bande, assemblée de Noirs vivant de maraudes, d’amours au prix le plus bas (3 francs), de vol de vin sur les docks (en faisant sauter la bonde des barriques) et – le moins souvent possible ! – de petits travaux sur une « gonzesse », le nom familier que donnent les marins au navire. C’est une succession de bagarres, de palabres sans fin, d’actes de générosité effectués avec panache, de rencontres nocturnes, le tout se déroulant dans les ruelles tortueuses de la Fosse proliférant de bordels et de boîtes infâmes. « Aucun autre décor n’aurait pu convenir aux gars du bord de mer. À croire que tous les laissés-pour-compte du toutes les mers du monde avaient dérivé jusqu’ici pour passer la journée étendus au soleil. » Ce « quartier réservé » donnait directement sur le port, au pied du Panier, à l’opposé de cet autre monde, sur la rive d’en face, celui du Bar de la Marine de Pagnol qui lui est pratiquement contemporain. Ambiance chaude et canaille, certes attirante pour le lecteur d’aujourd’hui, mais si effrayante aux yeux des bourgeois d’alors, à tel point qu’on a fait détruire ce quartier (lâchement mais méticuleusement) par les Allemands en janvier 1943, déportant sa population d’étrangers, de juifs, de malfrats et d’humbles pêcheurs. Signe prémonitoire d’une curieuse politique de la ville…
McKay décrit la vie d’un milieu qui possède ses propres règles et qui coule ses journées à la frontière de la société marseillaise. Un monde ni exotique ni idyllique… On y voit l’hypocrisie d’un chauffeur de taxi blanc qui va s’établir grâce à l’argent d’une ou deux prostituées qu’il protège dans La Fosse, devenant ainsi un citoyen respectable qui rejettera cyniquement son passé. On découvre le racisme entre les Américains de Harlem, les Sénégalais et les Antillais, souvent méprisants les uns envers les autres, s’accordant pourtant à détester en bloc les Asiatiques ou les Arabes. On encore les violentes dissensions entre ceux qui souhaitent l’intégration et ceux prônant le réveil de la conscience noire. L’auteur écrit à sa façon un roman social, abordant l’ambiguïté des relations entre communautés, la précarité des sans-papiers, et toutes les difficultés de la civilisation blanche occidentale à accepter ces cultures différentes… qui lui renvoient pourtant ses propres tares.
Banjo, personnage fêtard et nonchalant, apparaît au départ comme le prototype d’un bon sauvage idéal de simplicité. Généreux, il accepte l’amour, les embarras et l’argent « comme (ils viennent), c’est-à-dire facilement (…) l’existence (n’étant) qu’une succession d’événements peu différents les uns des autres ». Puis le personnage révèle sa force et fait comprendre à Ray, son ami écrivain et intellectuel – porte-parole de l’auteur – la profondeur particulière d’un peuple qui connaît les souffrances les plus terribles, mais qui les vit à l’opposé de l’Européen et de ses masques sociaux, avec « son calendrier bien réglé (et ses) figures d’enterrement ». Ray médite alors sur le Blanc qui méprise le Noir, ouvertement aux États-Unis, plus subtilement en Europe, par son attitude ou ses lois. Lui s’efforce de débusquer le « bon » Blanc qui lui fera aimer les autres, sachant pourtant que « le monde blanc, en général, considère le monde noir d’un point de vue diamétralement opposé » : les défauts d’un seul Noir autorisent le dédain envers tous les autres.
Mais au-delà de l’aspect politique du livre, Banjo est un vrai plaisir de lecture. Le livre maintient un intérêt permanent, malgré l’absence de fil narratif et la place accordée aux credo de McKay. C’est un équilibre subtil qui émane avec naturel d’une facture libre, comme improvisée : on est alors entraîné par l’insouciance de la bande, vivant au jour le jour le meilleur du métissage populaire marseillais, et par le tournoiement de ses nuits, ivres de jazz, menées par le banjo, l’instrument qui donne son surnom au Noir qui joue inlassablement les chansons du répertoire New Orleans. « Shake that thing ! » Secouez-moi ça !

Pascal Jourdana

Banjo
Claude McKay
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Fabre
L’Olivier, « Replay », 385 pages, 14,90

Harlem sur Marseille Par Pascal Jourdana
Le Matricule des Anges n°165 , juillet 2015.
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