Olivia Rosenthal, l'esprit animal
Alien, un film féministe ? Les Oiseaux, un manifeste pour les familles recomposées ? Bambi, un dessin animé crypto-fasciste et Le Livre de la jungle, un hymne hippie douteux ? Olivia Rosenthal revisite en trois courts textes des genres mineurs qui ont un succès majeur, la science-fiction, le film de terreur et le dessin animé, à l’aide de propositions moins farfelues qu’elles n’en ont l’air et de questions sans réponses. La provocation a plusieurs gammes, de l’inquiétude tranquille de « Toutes les femmes sont des aliens » à la perversité grimaçante des « Oiseaux reviennent » et à l’humour noir de « Bambi & co ». Dans ce dernier récit, l’auteure s’amuse à démystifier, après avoir dézingué le couple parental de Bambi, la chanson culte du Livre de la jungle, Il en faut peu pour être heureux, en la comparant avec la chanson de Ray Ventura, Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? composée bien à propos dans l’Europe en crise de la fin des années 30.
Dans Ils ne sont pour rien dans mes lar-mes, l’écrivaine cédait la parole à des spectateurs lambda, qui évoquaient pêle-mêle La Nuit américaine de Truffaut, Le Dernier Tango à Paris de Bertolucci, ou Nuit et Brouillard de Resnais et donnaient grâce à ces films un sens ou du moins une coloration aux épisodes de leur vie. C’est un retour à la trajectoire personnelle de l’auteur qui se dessine dans ce nouveau texte cinématographique : pas de montage des voix, place à une seule narratrice et à ses petites projections. Pour le choix des films, on est plus proches de Que font les rennes après Noël ? dans lequel trois films en particulier aimantaient le parcours de l’héroïne : La Féline de Jacques Tourneur (1942), King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack (1933) et Rosemary’s baby de Roman Polanski (1968). Autant d’histoires de monstruosité et de métamorphose, de domptage et d’irréductible liberté, d’interrogations sur les relations amoureuses, la sexualité et la maternité, thèmes essentiels de Toutes les femmes sont des aliens. À chaque stade de la vie et à chaque mutation identitaire correspondent un film et ses angoisses. La découverte du cinéma a à voir chez Rosenthal avec la perte de l’innocence et la projection de nos inconscients, et ce n’est pas étonnant que cette exploratrice du fantasme y ait recours depuis ses débuts. Cauchemar, cinéma et réalité s’entremêlent dans une forme à mi-chemin entre la conférence et la confession. De ces variations très libres, on peut aussi tirer un manifeste sur le désir : « Le désir est improbable. Il vient comme les oiseaux, il surgit, il colle à la peau, il exige, il insiste, il menace. Il assiège. Brusquement il est là, on n’a pas eu le temps de l’apprivoiser, il se pose sur la poitrine et l’écrase. Il faut lui obéir. Il faut suivre le chemin qu’il trace, le rythme qu’il impose, il faut répondre à son injonction. Même si, pour ce faire, on devrait se trahir soi-même. On se trahira. On courra à sa perte. On n’aura pas peur d’avoir peur. » À bon...