Critique exigeant, spectateur assidu, mémoire vivante et fin connaisseur du théâtre, spécialiste de Peter Brook et auteur de plusieurs textes remarquables sur de nombreux auteurs et metteurs en scène, Georges Banu est né roumain mais installé en France depuis 1993. Il essaye d’être comédien, entre au Conservatoire mais échoue ensuite et en est soulagé : « le leurre d’acteur s’évanouissait par la grâce d’une décision qui ne m’appartenait pas ». Il rêve ensuite de littérature mais là encore ne va pas au bout, enseigne mais refuse d’être appelé professeur, et admet pour finir et du bout des lèvres le statut d’essayiste. Dans ce nouveau livre, partagé en trois parties très différentes les unes des autres, il entreprend d’abord de décrire le théâtre comme un art de l’inaccomplissement. Parce qu’« il n’y a pas de mise en scène parfaite, à même de satisfaire un texte au point de « l’accomplir » pour toujours. » Parce qu’un spectacle est toujours en capacité de s’améliorer ou de s’abîmer. Parce que le public est une composante essentielle du spectacle et que sa rencontre souvent n’a lieu qu’après la fin du travail : « Pensé comme ouvert le spectacle fait de l’inaccomplissement une invitation adressée à la salle de se constituer en partenaire vivant à même d’œuvrer à son accomplissement. » Inaccomplissement à ne pas confondre avec inachèvement : « Un spectacle peut rester inachevé pour des raisons contractuelles liées au destin des artistes – maladie ou exil, décès ou interdiction – tandis que l’inaccomplissement participe de la condition même du travail théâtral. » Pour Georges Banu, « à l’origine de cette quête d’accomplissement se trouve le metteur en scène, dont l’apparition appelle le dépassement de l’ancien statut du théâtre comme loisir pour se convertir en art, en théâtre d’art. »
Ces propos ouvrent alors la deuxième partie, consacrée aux metteurs en scène et aux écoles qu’ils ont créées. L’intéresse particulièrement le rapport qu’entretient le metteur en scène avec ses comédiens, rapport souvent très autoritaire, marqué par un besoin d’absolu, d’accomplissement qui toujours échappe, qui toujours s’éloigne. Avec des remarques brillantes et éclairantes à la fois sur l’insatisfaction de voir l’œuvre disparaître puisque le théâtre est avant tout éphémère. D’où l’envie des metteurs en scène de se tourner vers des formes plus définitives, comme le cinéma ou la littérature. Il explique de cette manière le fait que de nombreux hommes de théâtre aient écrit, et pour certains, abondamment. Pour laisser une trace. Cette trace que le théâtre leur refuse. Il remarque aussi la similitude entre le fonctionnement d’une société et celle du metteur en scène. Principalement pour les metteurs en scène victimes de régimes autoritaires. Enfin, la troisième partie, « Les monologues de l’inaccomplissement », se veut réflexion sur lui-même. Sur sa vie, son parcours, ses envies, ses échecs. Presque un bilan. Il évoque ses propres inaccomplissements. Comme si l’envie, le besoin d’aller toujours plus avant, de réaliser une vie totale et accomplie l’avait empêché de s’arrêter aux étapes intermédiaires. Ni acteur, ni écrivain, ni professeur. Il est partout et nulle part et, d’une certaine façon, le revendique. Mais une vie inaccomplie, jusqu’au bout inaccomplie, laisse la place au rêve et à l’espoir, à l’idée que rien n’est totalement abouti et que c’est toujours ailleurs qu’il faut s’en aller voir.
Alors derrière le théâtre, Georges Banu nous donne peut-être sa vision d’une vie d’homme, la sienne, qui ne serait qu’une quête éperdue, une recherche sans fin menée par l’espoir et la passion. Une vie inaccomplie mais bien remplie.
Patrick Gay-Bellile
LE THÉÂTRE OU LE DÉFI DE L’INACCOMPLI
de Georges Banu
Les Solitaires intempestifs,128 pages,15 €
Théâtre Inaccessible étoile
avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172
| par
Patrick Gay Bellile
Avec Georges Banu, la vie comme au théâtre, toujours en quête d’un absolu.
Un livre
Inaccessible étoile
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°172
, avril 2016.