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avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172 | par Didier Garcia

Avec Les Papiers de Walter Jonas, Baptiste-Marrey explore l’intimité d’un couple. Sur fond de musique classique.

papiers de Walter Jonas

Un jour, un certain Guido Rossi remet à Baptiste-Marrey un volumineux dossier, qu’il lui présente comme un ensemble de textes se rapportant à un compositeur de grande valeur disparu dans des circonstances étranges (cinq cents pages plus loin nous apprendrons qu’il s’est peut-être retiré sur une île proche de la Norvège). Et c’est précisément ce dossier, avatar du manuscrit offert au narrateur si cher à la littérature classique, qui nous est ici donné à lire.
Cette vaste fresque romanesque nous fait suivre, sur une trentaine d’années (de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 1980), le destin d’un couple singulier : celui d’Alba Zelnik, « fille des montagnes serbes » ainsi que « d’un modeste fonctionnaire yougoslave », mezzo-soprano dont le prénom aurait été inspiré par Alban Berg, et de Walter Jonas, dont l’esquisse biographique située en fin de volume précise qu’il était à la fois un compositeur autrichien et un clarinettiste.
De prime abord le lecteur pensera être entré dans un roman destiné aux seuls mélomanes tant les références à la musique y sont nombreuses : aux papiers de Walter Jonas se mêlent des lettres authentiques, ou données pour telles, comme celles échangées entre Alma et Gustav Mahler, dont l’histoire amoureuse sert de miroir à celle de nos protagonistes. Et nous croiserons dans ces pages quelques-uns de ceux que Goebbels appelait « les musiciens dégénérés », autrement dit Malher, Berg, Webern…
C’est incontestable : la musique orchestre la vie d’Alba et de Walter. Il arrive même que leur existence se confonde avec les textes des opéras que l’un compose et que l’autre s’applique à mettre en voix. Mais Baptiste-Marrey nous conte avant tout l’histoire d’un couple, en nous plongeant dans les journaux intimes que chacun écrit en secret mais que l’autre finit tôt ou tard par découvrir – et par lire (voire relire). Des carnets dans lesquels chacun se laisse à consigner, avec un art étonnant du détail, ses escapades extraconjugales et des scènes d’une belle intensité érotique (pour Walter Jonas, aussi bien avec ses différentes maîtresses qu’avec des prostituées).
Les découvertes y sont pour tous deux d’une telle violence que ce roman se concentre presque malgré lui sur la jalousie dont chacun doit faire l’épreuve. Et dont Baptiste-Marrey explore la subtile mécanique : « On ne sait jamais quand frappe la jalousie ni à quoi elle s’accrochera : un mot, un visage, un souvenir. »
Par sa structure, Les Papiers de Walter Jonas ressemble à l’opéra auquel le compositeur cherche à mettre le point final : « Les séquences, ou les sections, à l’intérieur de la même œuvre ne se succéderont pas dans un ordre logique – ni même musical : un chemin mènera de l’une à l’autre sans qu’aucune d’elle ne soit à proprement parler la conséquence de la précédente ». Du début jusqu’à la fin nous serons au plus loin d’un déroulement chronologique traditionnel. Et c’est bien à une dérive que le lecteur doit se soumettre, dérive d’ailleurs plutôt délicieuse, quand elle n’est pas enivrante, en effectuant d’incessants va-et-vient entre le passé et le présent. Nous n’aurons donc jamais l’impression d’être immergés dans une symphonie, avec sa succession de mouvements et sa logique linéaire, mais dans quelque chose qu’il est difficile de nommer, et dont la souplesse rappelle celle des Variations Goldberg de Bach, avec ses pièces souvent brèves (les « papiers » de Walter Jonas se font rarement longs) et ses motifs qui reviennent çà et là. L’ensemble paraît ainsi se plier au seul bon-vouloir d’une mémoire qui exhume des tranches de vie en fonction d’associations plus ou moins conscientes et selon sa propre temporalité.
Baptiste-Marrey n’a pas ménagé ses efforts pour nous faire croire en l’authenticité de ses personnages (il paraît qu’à la sortie du roman, en 1985, des lecteurs se sont aventurés chez les disquaires pour y dénicher les compositions de Walter Jonas), mais ce n’est peut-être pas ce qu’au final nous en aurons retenu. Nous nous souviendrons surtout d’avoir lu une histoire de renoncements, de jalousies et de deuils, d’avoir été portés par une sorte de murmure, de musique feutrée, langoureuse et parfois lascive, d’avoir voyagé dans l’espace (Vienne, la campagne autrichienne, l’Allemagne, l’Italie) et jusque dans l’histoire d’un couple, meurtri par les infidélités de chacun et pourtant sublime dans ses déchirures, puis tour à tour mesquin ou fragile, et pour tout dire modestement humain… Portés donc, ou plutôt emportés, par ce roman kaléidoscopique à la chronologie débraillée, qui n’en finit pas de revenir, dans une sorte d’ostinato, sur les mêmes scènes traumatiques, au point de nous étourdir. Un étourdissement qui ressemble moins à une commotion qu’à une forme d’hypnose, ou de ravissement.
Didier Garcia

LES PAPIERS DE WALTER JONAS
DE BAPTISTE-MARREY
Actes Sud / Babel, 536 pages, 10,50

Mezza voce Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°172 , avril 2016.
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