Un livre

Examens d’empathie

de Leslie Jamison

Editions Pauvert

En partant de son expérience de « patient acteur » dans le cadre d’un jeu de rôles médicaux – où elle devait alternativement interpréter la panique d’une mère dont l’enfant a soudain les lèvres bleues ou l’effondrement d’une jeune femme en deuil de son frère –, Leslie Jamison, jeune auteure californienne, s’adonne dans Examens d’empathie à une rigoureuse et touchante phénoménologie de la peine. Pourquoi les patients préfèrent être diagnostiqués sur un plan physique plutôt que mental ? Comment expliquer les douleurs fantômes ? Pourquoi les participants de l’ultramarathon du Tennessee se prêtent-ils à un tel calvaire ? D’où vient que la souffrance féminine suscite tant de sarcasmes, comment les dépasser ? À travers plusieurs enquêtes et réflexions, croisées et retranscrites d’une écriture tenant à la fois des confessions d’une Virginia Woolf et de l’investigation d’une Joan Didion, Leslie Jamison explore les territoires de la souffrance contemporaine, en s’interrogeant sur ce pouvoir à la fois magique et très rationnel qu’est l’empathie. « Pas seulement quelque chose qui nous arrive – une pluie d’étoiles filantes traversant les synapses du cerveau –, (mais) aussi un choix de notre part : faire attention, élargir le champ de notre être, ce qui relève de l’effort, ce cousin démodé de l’impulsion ». C’est qu’une empathie différente mérite d’exister pour répondre à chaque douleur : celles de la guerre, du deuil ou de la maladie, oui, mais aussi les douleurs moins visibles, les ridicules, les moquables, celle d’un amour avorté, d’une ambition estropiée, d’un banal appel resté sans réponse, ces douleurs discrètes et dérisoires qui s’agglomèrent si vite en cancers quand on ne les transforme pas en langage, en rires, quand personne ne nous aide à prendre conscience qu’elles ne sont pas de strictes plaies mais aussi des « terreaux fertiles qui engendrent l’honnêteté ». Celle de ce livre, très simplement, est désarmante.

Blandine Rinkel

Examens d’empathie de Leslie Jamison
Traduit de l’américain par Emmanuelle et Philippe Aronson, Pauvert, 336 pages, 22 €