Empruntant son titre au poème Dans les fleuves de Paul Celan, Au nord du futur produit dès l’abord un effet d’étrangeté, une image à la limite de la représentation. Or c’est de cette collision de l’espace et du temps que Christophe Manon se propose de partir afin d’en explorer l’étendue en un ensemble tripartite.
« Nous n’étions rien c’était / il y a longtemps nous gardions chaque os / pour l’avenir faisions / métier d’ignorance dos ployé sous le poids de l’histoire ». Le premier chapitre du livre est une évocation vigoureuse et plaintive d’un passé dont on ne parvient pas à établir les contours tant le refus de l’anecdote y est systématique. La charge épique des 25 poèmes, largement accentuée par le recours à l’imparfait, place provisoirement les blessures antérieures de l’Histoire du côté d’un avant à jamais enterré. Pourtant la langue affolée, jouant du rejet et de la syncope, nous rappelle que la barbarie n’est pas le fait d’un autre âge. Et qu’elle peut muer les passions tristes en une joie incandescente : « Qu’est-il / le chant sinon cette parole hésitante et boiteuse d’un / qui s’adresse et s’incarne et porteur / d’une pensée qui s’invente mais / s’ignore ». Parole qui dans l’affolement de son dire jette au-delà d’elle-même des idées et des mots comme pour dessiner les prémices d’une utopie, puissance d’un mouvement qui n’existe pas encore mais dont la possibilité d’y croire est essentielle. Ainsi, le deuxième chapitre, Au milieu de la nuit, le jour, est-il la figuration de ce point d’incandescence aux allures d’adresse amoureuse. Néanmoins, c’est encore à « une méditation » sur l’aujourd’hui à laquelle Manon procède, « chant ténu dont les signes s’inscrivent aux marges du sensible ». Si cette autre collision, que l’on nomme « rencontre » entre deux êtres, permet à chacun « de se réinventer » et de renouveler « sa belle plasticité », elle fonde autant la possibilité d’une métamorphose existentielle que politique.
L’ultime chapitre s’ouvre alors sur une autre manière de nommer « la passion du réel ». Chaque page y décline un poème dont la graphie incommode l’œil et dessine des perspectives. Beauté et inconfort de lecture y cohabitent, façon de rappeler que si l’exigence de lucidité mène à l’accablement, elle est une manière « d’éprouver / la sensation / d’être en vie » quand bien même on ne sait si le murmure que l’on perçoit est la promesse d’un éblouissement ou l’expression de ses cendres.
Christine Plantec
Au nord du futur, de Christophe Manon
Éditions Nous, 101 pages, 15 €
Poésie Renverse du souffle
octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177
| par
Christine Plantec
Poème aux allures de chant déboussolé, Au nord du futur de Christophe Manon emporte le lecteur dans une aventure revigorante.
Un livre
Renverse du souffle
Par
Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°177
, octobre 2016.