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En grande surface Les troncs

juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185 | par Pierre Mondot

En publiant il y a deux ans Le Charme discret de l’intestin, Giulia Enders, une accorte gastro-entérologue allemande, rencontra un succès inattendu. Portée par le désir de réhabiliter un organe mal connu et souvent sous-estimé, elle y développait la thèse que notre appareil digestif possédait dans le corps humain une importance comparable à celle du cerveau. La jeune médecin commençait sa visite guidée des entrailles en narrant l’origine de son intuition : elle apprit un matin que l’inconnu auprès duquel elle avait dîné la veille et dont elle avait durant le repas subi la méchante haleine, s’était suicidé aux premières lueurs de l’aube. Eurêka. Elle aurait pu aussi bien relire l’Iliade  : Homère déjà situait les émotions de ses héros dans les tripes. Après une entame nerveuse (le premier chapitre s’intitulait « L’art de bien chier »), le livre offrait quelques informations surprenantes. On y découvrait par exemple l’existence d’un système d’évaluation au moins aussi pertinent que celui de Richter ou Beaufort : l’échelle de Bristol. Numérotée de un à sept, elle repose sur un principe identique au test de Rorschach. Un examen minutieux du colombin délivré puis une rapide comparaison avec les illustrations proposées permettent aux inquiets de jauger leur état de forme (les gens radieux oscillent entre trois et quatre).
Voici qu’un compatriote de Mlle Enders, exploitant à son tour le filon de la démocratisation scientifique, se niche depuis plusieurs mois dans la canopée des ventes avec un essai consacré à La Vie secrète des arbres.
On y pénètre un peu à reculons (les grands bois nous effraient comme des cathédrales).
Le livre de Peter Wohlleben s’ouvre avec le récit de sa rédemption. Il fut longtemps un garde-forestier ordinaire, soumis aux intérêts économiques des scieries et incapable de juger de la qualité des arbres autrement qu’à l’aune de leur valeur marchande. Avant que l’élaboration d’un programme de recherche universitaire dans son district et les découvertes qui s’ensuivirent, ne contribuent à lentement corriger le regard porté par notre homme sur les hêtres. Il était Heydrich, il devint Schindler – confronté à un auteur teuton, il convient de dépasser assez tôt le point Godwin. On exagère cependant à peine : lorsqu’il revient sur la première partie de son existence, cette époque où il en savait autant sur les arbres qu’« un boucher sur la vie affective des animaux », le forestier confesse un sentiment de « honte » et qualifie de « barbares » ses anciennes pratiques.
Quels furent les éléments déclencheurs de cette prise de conscience ?
D’abord la découverte que politiquement, les arbres penchent plutôt à gauche. Ils sont « de fervents défenseurs d’une justice distributive ». Les plus forts compensent les lacunes des plus faibles, les plus jeunes, celles des plus vieux : « qui est bien nanti donne généreusement et qui peine à se nourrir reçoit de quoi améliorer son ordinaire ». L’entrelacs des racines et des champignons garantit ce système de solidarité. Un véritable réseau, un « World-Wood-web », selon l’auteur.
La communication ne se réduit pas à ces becquées de chlorophylle. Les arbres causent. On avait observé bien sûr le frémissement foliaire dans les films de Miyazaki (mais c’était le vent). On savait aussi le farouche bruit émis au crépuscule par les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule (c’était la chute). Des chercheurs ont constaté depuis peu qu’ils produisaient des sons et, penchés sur ces messes basses, prouvé qu’« en cas de soif intense, (ils) se mettent à crier. » – pareil.
Enfin, on comprend que ces amoureux qui gravent dans l’écorce l’addition de leur prénom afin d’attester d’une fidélité éternelle sont doublement criminels : non seulement la promesse ne sera pas tenue, mais en plus, cette balafre paraît « pour un arbre au moins aussi désagréable qu’une lésion de la peau pour nous… »
On distingue mal ce qui, des exigences pédagogiques du traité de vulgarisation ou de la fascination pour les végétaux, pousse l’auteur à appuyer si fort sur la pédale de l’anthropomorphisme : les processus complexes de la nature s’y trouvent systématiquement ramenés à l’ordinaire des schémas familiaux : « Les dissipés qui se figurent qu’ils ont tout loisir d’aller voir à droite ou à gauche, qui flânent et musardent avant de démarrer pour de bon, ne vont pas tarder à le regretter ».
Wohlleben estime en effet inefficiente la différence entre végétal et animal. Les arbres ne seraient que des animaux un peu plus lents.
Et nos écologistes qui répètent que les forêts sont le poumon de la planète se tiennent encore en deçà de la réalité. C’est bien davantage. Au minimum, elles en sont l’intestin.

Les troncs Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°185 , juillet 2017.
LMDA papier n°185
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