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Histoire littéraire Temps mort

septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186 | par Didier Garcia

Avec L’Embuscade, Beppe Fenoglio (1922-1963) nous plonge dans la guerre civile italienne, saisie en plein cœur de l’été 1944.

Nous voici quelque part dans le Piémont (dont l’auteur était originaire). Dix jours avant que ce roman ne s’ouvre, les Alliés ont pris Rome, et depuis chacun a pu voir les « forteresses volantes » (les bombardiers américains) filer vers l’Allemagne. Tout cela sent bon la fin de la guerre. Pour certains, elle est pourtant loin d’être terminée. Dans ces montagnes, deux camps se livrent une guerre des nerfs : d’un côté (qui sera celui du lecteur, et qui a été celui de Fenoglio), une garnison de « partisans », autrement dit de résistants non communistes ; de l’autre les fascistes, toujours fidèles à Mussolini. Parfois, il y a bien un hurlement qui déchire les collines, ou des coups de feu, une colonne de fumée. Ou encore les largages de matériel réalisés par l’aviation britannique, qui font tomber du ciel les fameuses cigarettes anglaises. Mais la plupart du temps il ne se passe pas grand-chose ; c’est même tellement calme que nous pourrions oublier que le monde est en guerre.
Eux, les protagonistes involontaires de ces pages, ne l’oublient pas. Il faut dire aussi qu’ils savent comme les coups peuvent pleuvoir sur les prisonniers. Des coups souvent donnés pour le plaisir : « Ça lui avait particulièrement plu de voir s’écrouler en même temps la chaise et l’homme. Une petite chose, mais si voluptueuse. » Chacun vit donc avec la certitude que le pire est toujours possible. Et tous ont à peu près la même peur : celle de ramasser « une balle, de celles qui sont définitives ».
Tout en fumant des Craven ou des Navy Cut, les gars se racontent des faits d’armes, ou des opérations auxquelles ils ont participé. Pour tuer le temps bien entendu, mais pas seulement : pour que tout le monde sache ce qu’ils ont vécu et que les souvenirs circulent. Parmi eux, il s’en trouve qui n’ont encore jamais tiré une balle de leur vie, et d’autres qui ne supportent plus la nuit et qui voudraient que « le soleil ne se couche plus jamais ».
Comme pour nous rappeler que nous sommes en pleine guerre, Fenoglio évoque quand même quelques combats meurtriers, qui tournent mal le plus souvent, en général pour un détail auquel personne n’avait pensé. Des opérations qui se soldent invariablement par des exécutions et qui voient les prisonniers devenir bassement humains, à l’instar de Jack, qui espère qu’un autre de ses camarades a été capturé afin que les fascistes ne se défoulent pas exclusivement sur lui. Mais avec ou sans opération il faut que chacun ait son lot de peurs et d’angoisses, car « il n’est pas normal de sortir sans douleur d’une tragédie comme celle-ci ».
Un jour, la garnison apprend que la maîtresse d’école de San Quirico a une liaison amoureuse avec un officier allemand. Elle s’appelle Edda Ferrero et, selon le regard de Milton, seul à s’embarquer dans une traque qui donnera au volume un semblant d’élan narratif, elle est « blonde et belle, beaucoup plus que prévu ».
On l’aura compris, ce roman (écrit à la fin des années 1950) ne brille pas par son intrigue : il progresse comme il peut, selon une alternance de faits de guerre et de pauses, de répits, qui sont autant de tranches de vie (des instantanés qui donnent sans doute mieux à voir le quotidien de ces hommes que ne le ferait un roman rondement mené). Cela nous laisse du temps pour nous attacher aux personnages, englués dans une attente sans objet qui à tout moment peut leur être fatale. Nous attacher à Jack, à Maté (qui raconte, au risque de le répéter trop souvent, ce que cela fait d’entendre crier « nous sommes encerclés »), à Gilera, « le plus gamin de tous » (16 ans à peine, âge qui ne parviendra même pas à émouvoir les fascistes au moment de l’exécuter), et à Milton, le beau gosse solitaire aux comportements étranges, qui mène sa propre guerre avec ses moyens à lui (en refusant notamment tous les ordres, d’où qu’ils viennent), et que nous devinons plus intelligent que bien d’autres. C’est d’ailleurs lui qui va devenir le protagoniste de ce livre, en cherchant à tendre un piège à l’officier allemand, piège qui se refermera malheureusement sur lui.
Au-delà de leurs différences, tous ont exactement le même espoir : « Le monde a toujours été malade mais après cette guerre il retrouvera une vraie santé, une vraie paix, et ça durera jusqu’à la fin des siècles ». Après des pages souvent noires, une telle candeur fait du bien. Elle redonne envie de croire en l’humanité, car comme l’écrit Fenoglio, dans une phrase sur laquelle notre présent ferait bien de méditer : « Infinis sont les maux de la dictature (…), mais le pire de tous c’est de rendre les bons méchants ».

Didier Garcia

L’Embuscade, de Beppe Fenoglio
Traduit de l’italien par Monique Baccelli,
L’Imaginaire, 238 pages, 7,90

Temps mort Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°186 , septembre 2017.
LMDA papier n°186
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