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Domaine étranger La mémoire du silence

novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198 | par Dominique Aussenac

Inlassable arpenteur de la guerre civile et du franquisme, Alfons Cervera tente de comprendre le mutisme de son père dans un roman poignant.

Pour Alfons Cervera, né en 1947 à Gestalgar, dans la province de Valence, passé et futur n’existent pas. C’est du moins ce qu’il affirmait, en mai 2015, dans le cadre du Banquet de printemps de Lagrasse. Il rajoutait que seul le présent existe, que le futur n’est qu’une carotte pour nous faire avancer. Pareillement, l’enfance n’existe pas non plus. Seul le récit qu’on fait de l’enfance existe. Quant à la mémoire, par la nécessité de savoir, elle permet ainsi d’inventer le présent. Alfons Cervera fait partie de cette génération dont le franquisme a gommé la mémoire et qui cherche à se la réapproprier.
Bilingue, castillan-valencien (une variante du catalan), il est l’auteur de cinq recueils de poèmes, d’une vingtaine de romans, dont sept traduits en français. Il a composé un cycle de la mémoire des vaincus Las voces fugitivos regroupant six ouvrages. De même que Faulkner pour qui Yoknapatawpha est le lieu fictif des récits, Cervera a inventé avec Los Yesares son cœur-monde, village de montagne valencien qui semble hanter sans cesse au gré des souvenirs, des destructions-reconstructions, ses romans. Depuis une décennie, il rend aussi hommage à ses parents décédés. Ces vies-là (La Contre Allée, 2011) évoquait les derniers moments de sa mère, prostrée de peur, après une chute, qui ne parlait que de mourir mais vérifiait toujours la date de péremption sur les pots de yaourt…
Journaliste, universitaire, Cervera le devint pour ainsi dire sur le tard, lui qui a commencé par être boulanger et le resta jusqu’à l’âge de 25 ans. Cet entre-deux entre prolétariat et milieux intellectuels, misère et relative aisance, franquisme et lente démocratisation fut déterminante et revient sans cesse dans ses livres. Dès 9 ans, toutes les nuits, son père Manuel venait le réveiller pour pétrir la pâte, ce que raconte Un autre monde. De l’existence de ce dernier pendant la guerre, il n’a que des bribes dont personne autour de lui ne se souvient ou ne veut se souvenir. Un pistolet (vrai ou factice) qui apparaît dans un placard pour re-disparaître à jamais. Une troupe de théâtre itinérante dont il fera partie et qui croise les plus grands acteurs du moment. Pas de livre chez lui, mais des rôles ou des pièces écrits sur des papiers volants et puis cette sentence d’un tribunal qui le condamne à douze ans de prison pour faits de guerre et de résistance dont même son épouse qu’il rencontra peu après n’eut connaissance. « Tu étais un flamboyant caporal de l’armée. Par la suite, j’ai appris qu’il y avait deux armées. Et que la tienne avait été vaincue. »
De toutes les questions que se pose le fils, celle du vagabondage du père, qui n’en finira jamais de déménager avec sa famille, de village en village, de boulangerie en pétrin, revient le plus souvent. Que fuyait-il ? Même en reconstruisant-remalaxant les indices, informations, événements, chansons en les mêlant à de la fiction, il n’aura de réponses. Pareillement en convoquant ses plus chers inspirateurs : Lampedusa, Onetti, Chirbes, Kafka… Il parviendra toutefois à générer une réflexion lucide et mélancolique sur l’acte d’écrire. D’un style tout en contraste, vif et retenu, descriptif et elliptique, lumineux et obscur, Alfons Cervera délivre à la fois un magnifique hommage au silence paternel et à la littérature. Il avance à tâtons dans les ténèbres éclairé par une intense lumière intérieure. « Ce que nous ne savons pas envahit les pages des romans que nous écrivons. J’ignore ce que je suis en train d’écrire. Je sais ce qui me reste à présent : une sécheresse minérale, la conviction toujours fragile de ce qui parvient trop tard à la connaissance de la vérité, la sensation étrange qu’il est impossible de récupérer complètement ce que l’on n’a jamais raconté. La mort est peut-être l’écriture la plus abrupte, celle qui nie sans ménagement aucun, les règles du récit. »

Dominique Aussenac

Un autre monde, d’Alfons Cervera
Traduit de l’espagnol par Georges Tyras,
La Contre Allée, 224 pages, 20

La mémoire du silence Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°198 , novembre 2018.
LMDA papier n°198
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